Par Jean-Pierre Chevénement
L’indépendance du Kosovo minerait l’équilibre européen
Par Jean-Pierre Chevènement, président d’honneur du MRC, président de la Fondation Res Publica, ancien ministre, tribune parue dans Le Figaro, mardi 11 décembre 2007.
Le cas du Kosovo est, chacun le sait, fort différent, car ce territoire n’a jamais été considéré comme une république fédérée et parce que la Serbie, qui y est attachée par de très profonds liens et symboles historiques, religieux, nationaux, n’entend pas s’en couper. De cette situation, de la force des principes qui avaient permis de régler pacifiquement la succession de l’URSS et qui avaient valu ensuite aux Croates, aux Slovènes, aux Macédoniens et aux Bosniaques le soutien international, les négociateurs européens, occidentaux et russes tinrent compte, lors du règlement de la guerre du Kosovo voici moins de dix ans. Autonomie substantielle.
Respect de la souveraineté nationale de la République fédérale yougoslave, autrement dit respect des frontières. Tels étaient les principes d’un accord de paix conforme aux exigences immédiates du dénouement pacifique de la crise mais aussi aux principes fondamentaux de l’organisation de l’Europe. Va-t-on tout jeter bas ? Au risque, on le sait, de semer en Europe les germes de nombreuses sécessions, en Bosnie, Géorgie, Moldavie, etc., au risque, au-delà de l’Europe, de donner un singulier exemple qui fera réfléchir Marocains, Indiens, Indonésiens et nos excellents amis canadiens…
Souhaite-t-on vraiment se donner un nouveau prétexte de solide et bonne brouille avec la Russie ? On peut penser tout ce que l’on veut du régime russe mais les dernières élections tendent à prouver que celui-ci est assez solidement installé. Faut-il lui offrir l’occasion d’ajouter à la confusion en choisissant la Serbie pour théâtre d’une éventuelle réplique stratégique au déploiement éventuel d’un réseau américain d’armes antimissiles ? Ou bien convient-il, comme le font assez habilement les Allemands, de continuer de discuter avec la Russie le plus raisonnablement et froidement possible ?
Il se trouve que le dossier du Kosovo est précisément celui sur lequel travaillent depuis longtemps, en relative intelligence, les trois acteurs : États-Unis, Union européenne et Russie. C’est même l’un des très rares sujets de politique étrangère où l’Union européenne, en tant que telle, fonctionne réellement sur un pied de stricte égalité avec Moscou et Washington.
N’est-il pas l’heure plutôt pour tous ceux qui, quels que soient leurs credo, souhaitent que la voix de l’Europe soit entendue, d’encourager ses né-gociateurs à poursuivre la discussion avec la Russie sur la formule la plus propice (il y a mille combinaisons possibles) à satisfaire la volonté d’autonomie et de vivre ensemble des Kosovars, sans qu’une excessive prétention à un siège indépendant à l’ONU, et pis, que l’établissement d’une nouvelle frontière vienne miner encore plus la base de l’équilibre européen ?