(blasons du Poitou)
Il était une fois un petit poulet si chétif qu’on l’appelait le p’tit d’mi-poulet. Un jour qu’il picorait au bord de la route, il vit briller des pièces d’or au fond d’une bourse déliée. En même temps le seigneur, se trouvant à passer, arrêta son cheval, saisit la bourse, remonta sur sa bête et la lança à toute bride, pendant que Jean-Louis, le métayer, criait après lui : “Arrêtez, arrêtez, la bourse est à mé.”
Mais le cavalier disparut bientôt. Jean-Louis s’assit sur la borne, les coudes sur les genoux, la tête entre les mains, se lamentant et disant :
– O l’t’ait le prix d’noute mule, nous v’la dans la misère, moué, la femme et toute la maisonnée.
Cocorico ! chanta le p’tit d’mi-poulet, de la voix enrouée des jeunes coqs qui vont muer. Ce qui voulait dire : T’émoye pas, i’allans aller trouver l’seigneur per l’i faire rendre ta bourse. Et le p’tit d’mi-poulet, de toute la vitesse de ses jambes, se lança à la poursuite du cavalier, se fiant à la marque des sabots du cheval, sur le chemin.
Il rencontre le renard.
– Où cours-tu si vite, mon p’tit d’mi-poulet ?
– I vas dret d’vant mé.
– Per aller vour (où) ?
– Per aller trouver l’seigneur et l’i faire rendre la bourse au paure Jean-Louis.
– Vaux-tu qu’iange (que j’aille) avec té ? Un p’tit d’aide fait grond ben.
– O l’est pas de r’fus ; monte sus moun échine, i t’ port’rai.
Et le renard se logit dans son échine.
Un peu plus loin, rencontre le loup :
– Où va-tu, mon p’tit d’mi-poulet ?
– I vas dret d’vant mé.
– Per aller vour ?
– Per aller trouver l’seigneur et l’i faire rendre la bourse au paure Jean-Louis.
– Vaux-tu qu’iange avec té ? Un p’tit d’aide fait grond ben.
– O l’est pas de r’fus ; monte sus moun échine, i t’ port’rai.
Et le loup se logit avec le renard.
Un peu plus loin, rencontre l’échelle :
– Où vas-tu, mon p’tit d’mi-poulet ?
– I vas dret d’vant mé.
– Per aller vour ?
– Per aller trouver l’seigneur et l’i faire rendre la bourse au paure Jean-Louis.
– Vaux-tu qu’iange avec té ? Un p’tit d’aide fait grond ben.
– O l’est pas de r’fus ; monte sus moun échine, i t’ port’rai.
Et l’échelle se logit avec le renard et le loup.
Un peu plus loin, rencontre la rivière :
– Où vas-tu, mon p’tit d’mi-poulet ?
– I vas dret d’vant mé.
– Per aller vour ?
– Per aller trouver l’seigneur et l’i faire rendre la bourse au paure Jean-Louis.
– Vaux-tu qu’iange avec té ? Un p’tit d’aide fait grond ben.
– O l’est pas de r’fus ; monte sus moun échine, i t’ port’rai.
Et la rivière se logit avec le renard, le loup et l’échelle.
Un peu plus loin, rencontre le bourgnâs (la ruche) :
– Où vas-tu, mon p’tit d’mi-poulet ?
– I vas dret d’vant mé.
– Per aller vour ?
– Per aller trouver l’seigneur et l’i faire rendre la bourse au paure Jean-Louis.
– Vaux-tu qu’iange avec té ? Un p’tit d’aide fait grond ben.
– O l’est pas de r’fus ; monte sus moun échine, i t’ port’rai.
Et le bourgnâs se logit avec le renard, le loup, l’échelle et la rivière.
Arrivé au château, le p’tit d’mi poulet se mit à crier :
– Cocorico ! Rends-moi la bourse dau paure Jean-Louis.
– Attrapez-moi ce méchant p’tit d’mi-poulet, cria le seigneur à la fille de ferme, et jetez-le dans la basse-cour ; les coqs, les prots et les jars auront vite fait de le dépecer.
Sitôt entré dans la basse-cour, le p’tit d’mi-poulet de s’écrier :
– Renard, si tu n’vins pas à moun aide, i seus pardu !
Le renard descendit de son échine et fit si bien son office, qu’au matin il ne restait pas une bête vivante dans la basse-cour, sauf le p’tit d’mi-poulet qui chantait :
– Cocorico ! Rends-moi la bourse dau paure Jean-Louis.
Rouge de colère, le seigneur cria au valet :
– Jetez cette bête dans l’écurie : les chevaux et les mulets autont tôt fait de la saboter.
Sitôt entré dans l’écurie, le p’tit d’mi-poulet de s’écrier :
– Loup, si tu n’vins pas à moun aide, i seus pardu !
Le loup descendit de son échine et fit si bien son office que toute la chevalerie et la mulasserie y passit.
Au matin, il n’y avait de vivant que le p’tit d’mi-poulet qui chantait :
– Cocorico ! Rends-moi la bourse dau paure Jean-Louis.
Plein de rage, le seigneur ordonna de jeter la maudite bête au fond du puits.
Sitôt entré dans le puits, le p’tit d’mi-poulet de s’écrier :
– Echelle, si tu n’vins pas à moun aide, i seus pardu !
L’échelle descendit de son échine et fit si bien son office, qu’au matin le p’tit d’mi-poulet se perlaquait (se promenait) dans la cour en criant :
– Cocorico ! Rends-moi la bourse dau paure Jean-Louis.
Le seigneur crut avoir affaire à une bête diabolique.
– Prenez-le, ordonna-t-il à ses gens, chauffez le four à blanc et jetez-y la maudite bête et fermez bien la porte sur elle.
Sitôt entré dans le four, le p’tit d’mi-poulet de s’écrier :
– Rivière, si tu n’vins pas à moun aide, i seus pardu !
La rivière descendit de son échine et fit si bien son office, que le lendemain matin, quand les valets ouvrirent le four, lep’tit d’mi-poulet sauta dans la cour en criant :
– Cocorico ! Rends-moi la bourse dau paure Jean-Louis.
– Bête enragée et possédée, hurla le seigneur, c’est moi qui me charge de ton affaire !
Et le soir, il l’emporta dans sa chambre pour lui tordre le cou.
Sitôt entré dans la chambre, le p(tit d’mi-poulet de s’écrier :
– Bourgnâs ! si tu n’vins pas à moun aide, i seus pardu !
Le bourgnâs descendit de son échine, les abeilles sortirent, se jetèrent sur le seigneur, le criblant de leurs datds, si bien que celui-ci, fou de douleur et de rage, s’écria :
– Arrêtez, je vais rendre la bourse à Jean-Louis.
Le p’tit d’mi-poulet partit avec la bourse ; Jean-Louis fut si aise de la retrouver qu’il pleurait de joie et le p’tit d’mi-poulet était ben content itout.
Contes, récits et légendes des pays de France.