Extrait de la tribune d’Elisabeth Levy sur Causeur.fr
« Il y a quelques années, une pubeuse répondant au prénom de Chicorée ou Vanessa avait patiemment tenté de me convaincre des vertus d’une campagne de la RATP qui proclamait : “Il faut tout voir en beau” et invitait les usagers à avoir “des pensées positives” et à “purifier leur mental” . Dans les couloirs du métro, fallait oser. (…)
Tableau noir, de Iannis Roder n’est pas un reportage mais un simple témoignage, celui d’un prof d’histoire-géo qui officie depuis une dizaine d’années dans un collège de Saint Denis.
Roder raconte ses élèves, en s’efforçant de ne pas les juger et, aussi bon petit soldat qu’un autre, il s’accroche, multiplie les initiatives en tout genre pour tenter de les intéresser au monde qui les entoure. Il n’en brosse pas moins un terrifiant portrait de groupe.
Passons sur la violence, le racisme, la confiance accordée à l’imam plutôt qu’au prof ; passons sur le matérialisme frénétique, l’obsession de l’argent. Ce que dit Roder, c’est que notre société engendre des jeunes dépourvus du vocabulaire qui leur permettrait d’accéder à une compréhension minimale du monde dans lequel ils sont.
Pendant une journée, le prof a noté les mots qui laissaient ses élèves perplexes. Citons en un échantillon : exception, majoritaire, minoritaire, ravitaillement, écart, abolir, répandu, aspiration, nation, suggérer… Autant dire que ces jeunes sont incapables de la moindre abstraction, et, plus largement, de la moindre représentation. On a l’impression que tout ce qui n’entre pas dans leur champ de vision direct est noyé dans une sorte de flou.
Bien sûr, il est ici question d’une minorité. Reste un scandale : des adolescents quittent l’école de la République non seulement analphabètes mais aussi analphabètes sociaux, dépourvus de tous les codes qui organisent la société. Bref, nous fabriquons de petits barbares qui, dans le meilleur des cas, seront demain des assistés.
On aimerait les contraindre, les sociologues satisfaits, les politiques verbeux, les journalistes positifs, à se coltiner cette réalité-là.» (lire toute la chronique, brillamment écrite) (via Wilfried)