Lu dans Libé :
Par Pierre Marcelle
Le Kärcher et le Destop
Huit jours après la bruyante soirée de Saint-Denis où fut abondamment saluée l’interprétation de la Marseillaise, redire aussi que nous ne renoncerons pas, ici ou là, dans les stades ou dans la rue, à copieusement huer, siffler, brocarder ou conspuer, selon notre humeur, tout hymne, tout drapeau ou tout autre symbole de l’union nationale, cet ersatz de la République. A fortiori lorsque de toute part, au nom d’une Europe qui, face à «la crise», demeure le fief des Etats-nations, l’égratignage des symboles donne prétexte à d’immondes déferlements de haine raciale; plus qu’aux ineptes saillies du sous-ministre Laporte, qui s’en est fait une spécialité, ou aux bachelotades de Bachelot, un pas en avant et trois en arrière, on songe à cette suggestion de leur collègue Fadela Amara de nettoyer les stades «à coup de Destop». Exactement comme son patron se proposait il y a peu de nettoyer La Courneuve «au Kärcher».
Mme Amara chasse de race, si l’on ose dire. Qu’elle l’ait fait, dans le concert gouvernemental, pour faire oublier d’autres urgences ou par aveugle inconscience nous indiffère. Nous importe par contre absolument le droit imprescriptible de milliers de sous-citoyens – je parle essentiellement des populations noires ou arabes – de faire entendre, fût-ce maladroitement, fût-ce désespérément, leur conscience de leur condition.
D’où viendrait qu’aux jeux du cirque, lieu par excellence de la violence symbolique, ou sur le pavé, dans l’exercice des droits d’expression et de manifestation, soit interdit à ces Français encore et toujours «d’origine immigrée» de siffler dans La Marseillaise l’Etat qui les ostracise, eux, et charterise leurs congénères? Mais nos furieux du drapeau ont peine à concevoir qu’à travers l’hymne, puissent être sifflés l’identité nationale selon Hortefeux, les geôles mortifères de Dati, le Taser d’Alliot-Marie et ses policiers matraqueurs de Montfermeil, la ségrégation toujours et partout recommencée dans le délit de sale gueule, et les récurrentes provocations du «législateur».
(Merci à Ezra)