La Loi Française permet à tout(e) citoyen(ne) d’assister aux audiences des Tribunaux d’Instance. Ceux-ci constituent ainsi une excellente vitrine de notre société. J’encourage quiconque en a la possibilité de se rendre le plus souvent possible à ces audiences que notre République veut publiques, chanceux que nous sommes. En effet dans un grand nombre de pays, la justice est verrouillée, fermée à tout auditoire et les séances qui y sont présidées relèvent davantage de la parodie.
Étant étudiant en droit, intéressé par toutes les questions portant sur la justice française, je certifie sur l’honneur l’exactitude des faits relatés ici.
Lundi 27 avril / Tribunal de Grande Instance de Toulouse, chambre des comparutions immédiates — Comparez les cinq affaires.
Dans le box des accusés, un jeune homme, prénommé Rachid, se voit assister d’une interprète au milieu du Tribunal.
Le juge commence son [allocution]. Il rappelle en lisant le dossier qu’il a sous les yeux que l’accusé a déclaré ne pas parler le français. Rachid aurait été interpellé dans la région toulousaine quelques jours auparavant pour avoir remis des documents falsifiés dans le cadre de sa reconduite à la frontière.
Le prévenu a déclaré être de nationalité algérienne, séjournant en France depuis 2003. Lors de cette même année 2003, il aurait été impliqué dans une affaire de trafics de stupéfiants dans la région bordelaise.
Mais ce qui intéresse ici le tribunal, c’est que le Consulat d’Algérie, prévenu de la situation de Rachid au cours des semaines précédentes, n’a pas reconnu parmi ses ressortissants l’identité qui lui a été communiquée.
Le prévenu n’ayant aucun papier d’identité ni permis de séjour sur lui, le juge lui pose clairement la question de sa nationalité, immédiatement traduite par son interprète. Rachid bredouille un mot à sa traductrice. Il maintient être algérien, sans faire aucune autre déclaration.
Son avocat commis d’office, face au brouillard enveloppant cette affaire, ne peut faire appel qu’à la « clémence et l’indulgence ».
Las, après quelques minutes de délibérés, le tribunal suivra le réquisitoire du procureur de la République : deux mois de détention et deux ans d’interdiction du territoire français.
Lorsque Rachid est raccompagné par les huissiers, le doute n’est toujours pas levé sur sa vraie nationalité.
Nassim, un jeune gaillard longiligne d’un vingtaine d’années, est debout au milieu du box des accusés.
Nassim est algérien, il a été interpellé sur un chantier en région toulousaine il y a quelques jours de cela, sans aucun titre de séjour ni permis de travail. Lors de son interrogatoire dans les locaux de la police, il aurait déclaré être dans cette situation depuis un an, vivant de menus travaux au noir et n’ayant entamé aucune démarche de régularisation. Son but était de gagner un peu d’argent en attendant d’immigrer vers l’Angleterre.
La mère de Nassim vit en France, marié avec un français. Ce dernier (son beau-père donc) aurait déclaré à la police, en s’appuyant sur une photocopie d’un permis de conduire algérien ayant supposément appartenu au prévenu, que son nom n’était pas Nassim Fi… comme il le prétend, mais Amin Mohamed Fo… Ce dernier aurait démenti que ce permis de conduire lui aurait appartenu.
Le juge réitère la question, insistant sur le fait que le personnage présent sur la photocopie du permis de conduire ressemble beaucoup au prévenu. Mais celui ci maintient sa version en marmonnant.
Lors de son réquisitoire, l’avocat de Nassim (ou quel que soit son nom) s’étonnera en tout premier lieu de « la facilité, en cette période de crise, pour les ressortissants étrangers à trouver un emploi et à subvenir à leurs besoins », allant jusqu’à demander si les vrais responsables de cette situation n’étaient pas ailleurs que dans ce tribunal.
Là encore, il ne peut appeler qu’à la clémence et l’indulgence du tribunal. Là encore, ce dernier suit les réquisitions du procureur. Le prévenu est condamné à trois mois de détention et deux ans d’interdiction du territoire français.
Mourad, crâne rasé et court sur pattes, se tient face aux magistrats.
Il a été interpellé en mars dans le centre-ville de Toulouse alors qu’il conduisait un scooter sous l’emprise de l’alcool. Il s’avérera que son taux exact était de 0,83 mg/Litre d’air expiré au moment des faits.
Le scooter qu’il conduisait avait été déclaré volé un mois auparavant. Pris en chasse par les policiers en plein centre-ville, il aurait refusé d’obtempérer et aurait entamé une course-poursuite dans les rues de Toulouse, empruntant des rues piétonnes et des rues à contre-sens, avant de jeter le scooter et de tenter de s’enfuir à pied, en vain.
Mourad est en cas de récidive, il a déjà été condamné pour des faits similaires. Il a tout reconnu sauf le vol de l’engin. Dans sa version des faits, il aurait « emprunté (avec sa permission) le scooter d’une personne rencontrée par hasard ce jour-là dans la rue ». Il conteste également le fait d’avoir tenté de fuir et de s’être débattu lors de son interpellation. Devant la Cour, il déclare à nouveau s’être rendu sans forme de contestation le jour des faits. Le juge le reprend sèchement. Rapidement, devant l’insistance du juge, Mourad, avec sa voix de gamin, reconnaît enfin le vol du scooter, comme s’il s’agissait d’un détail.
Le président évoque ensuite le casier judiciaire de l’accusé. Celui-ci est lourd. Mourad a déjà 9 condamnations au compteur.
Celles-ci portent les motifs suivants, dans le désordre : vol avec arme, vol avec violence, mise en danger de la vie d’autrui, entrave à la législations sur les stupéfiants (par deux fois), port d’armes de 6ème catégorie, agression sexuelle sur mineure, vol en réunion, violence en réunion, violence sur véhicule public, ainsi que vol aggravé. La plupart de ces faits ayant été perpétrés au cours de mises à l’épreuve.
Curieusement le juge fait ensuite allusion à la famille nombreuse de l’accusé. Il évoque ensuite le fait que l’accusé est père d’une fille âgée d’un an. Ayant arrêté l’école en 3ème, Mourad aurait depuis effectué des boulots de manutentionnaire et de serveur.
Le procureur fait remarquer que le prévenu a déjà fait l’objet de nombreux sursis et mises à l’épreuve. Pour autant, on n’a noté chez lui aucune volonté de se réinsérer. L’accusé ne voulant apparemment pas comprendre et agissant de façon parfaitement délibérée à chacun de ses actes délictueux, il s’expose à la peine plancher de 2 ans d’emprisonnement fermes, réclamée par le procureur.
Son avocat évoque alors le casier judiciaire du prévenu, qualifié de « lourd poids pour sa réinsertion ». Il déclare même qu’il ne s’agit « que » du vol d’un scooter, oubliant miraculeusement la conduite sous l’emprise de l’alcool, le refus d’obtempérer et la mise en danger de la vie d’autrui. Il met aussi l’accent sur sa situation familiale difficile et son « père qui l’a abandonné ». Il conclut en exhortant les juges de ne pas aller au-delà de la peine plancher.
A l’issue de la délibération, les faits sont requalifiés de « recel de vol » en « vol ». Mourad est reconnu coupable des faits. Il est condamné à un an d’emprisonnement avec mise en détention, 1901 euros de dommages et intérêts au propriétaire du scooter. Lorsqu’il aura fini de purger sa peine, Mourad devra se présenter devant le juge d’application des peines pour répondre des violations de ses mises à l’épreuve antérieures.
Rachid est accompagné d’un interprète, puisque apparemment il ne parle pas le français. Il a été interpellé la veille pour détention et vente de cannabis en flagrant délit dans le centre-ville de Toulouse.
Immédiatement son avocate prend la parole et fait part d’un vice de procédure dans le procès-verbal de l’interpellation. Elle demande la nullité de ce procès, autrement dit la relaxe immédiate et sans condition.
Le juge passe outre et revient sur la version des policiers. Rachid a été interpellé alors qu’il venait d’effectuer une transaction en pleine rue. Il avait alors sur lui 20 euros et une petite quantité de cannabis. Il venait de vendre 3 grammes à un étudiant, sous l’observation de policiers embusqués.
Rachid conteste la possession et la vente de cannabis auprès des agents lors de son passage au commissariat. Son client, lui, avoue spontanément et désigne Rachid comme son vendeur habituel.
Rachid conteste cette version et dit qu’il s’est contenté ce soir-là de « vendre des cigarettes » à une personne autre que le jeune homme désigné comme son acheteur. Curieusement, la barrière de la langue ne semble pas gêner Rachid dans ses activités illicites.
L’accusé est de nationalité algérienne. Il détient le récépissé d’un permis de séjour valide jusqu’au mois de mai 2009.
Il n’en est pas à sa première incartade : il a déjà comparu pour des affaires de violences avec arme, possession et cession de stupéfiants. Il n’a néanmoins jamais été condamné.
Le procureur va très vite et réclame 4 mois fermes.
L’avocate de Rachid commence par mettre l’accent sur le fait que son client n’a « pas de casier judiciaire ». Elle reconnaît très brièvement et du bout des lèvres que la situation de l’accusé ne justifie pas ce genre de trafics, sans aller plus loin. Elle conclut en déclarant sûr d’elle qu’un emprisonnement ferme « n’a aucune raison d’être ».
Le tribunal ne retient pas le vice de procédure, et Rachid est reconnu coupable. Il est condamné à 6 mois de réclusion avec mandat de dépôt et interdiction du territoire français pendant 3 ans.
Pascal est un monsieur de 40 ans, même s’il en paraît plus.
Il a été arrêté pour conduite sous emprise de l’alcool (1,126 mg/L d’air expiré). Pascal est en récidive. Ce n’est pas la première fois qu’il a affaire à la justice dans des circonstances similaires. Du coup, cette fois Pascal conduisait son véhicule alors que son permis lui a été retiré il y a deux ans, sans assurance et sans contrôle technique.
A la question du juge, Pascal répond qu’il n’a rien à redire aux faits qui lui sont reprochés.
Aux policiers il a déclaré s’être mis à boire suite à son divorce il y a plusieurs années, ce qui a également conduit à la perte de son emploi. Pascal est ainsi chômeur depuis 5 ans. Ses deux enfants, il ne les voit que par intermittence.
Il a déjà 4 condamnations au casier, pour les chefs d’accusation de conduite sous l’emprise de l’alcool et conduite sans permis. A chaque fois il a été condamné à du sursis et de la mise à l’épreuve.
Pour sa défense, Pascal marmonne seulement qu’il « ne le fait pas exprès ». Le juge manque de s’énerver et reprend le prévenu en lui déclarant que « toutes les excuses qu’il pourra imaginer sont forcément mauvaises ».
Le procureur prend la parole en déclarant que dans le cas de Pascal, il faut « éviter l’irréparable », et que l’incarcération s’avère nécessaire. Il réclame 1 an de détention, 150 euros d’amende avec interdiction de passer le permis pendant 3 ans. Avec bien sûr la confiscation du véhicule.
L’avocate de Pascal déclare qu’elle n’a eu accès au dossier que ¾ d’heure avant le début de l’audience. Elle évoque dans le cas de son client une « spirale infernale » : divorce, alcool, perte d’emploi, bientôt la prison ? Elle rappelle que Pascal n’a pas les moyens d’assurer son véhicule. Elle estime que la prison n’est pas une solution. Elle demande une obligation de soins ainsi que l’indulgence, par rapport à ses enfants.
Après quelques minutes de délibéré, le verdict tombe : 6 mois avec mise en détention. Et anecdotiquement, 120 euros d’amende et confiscation du véhicule.