“Le risque majeur, aujourd’hui, est de passer d’un surendettement des ménages à un surendettement des Etats.”
De la faillite des ménages américains à celle des banques
Des Etats-Unis à la France, de l’Allemagne au Royaume-Uni, les déficits budgétaires de nombreux pays explosent. Les Etats sont-ils les prochaines victimes de la crise économique et financière? Pour comprendre ce risque, il faut revenir à l’origine de la crise.
La crise financière a commencé par les défauts de paiements de nombreux ménages américains à faibles revenus. Ces ménages n’arrivaient plus à rembourser les fameux prêts hypothécaires souscrits pour acheter des maisons, prêts dont la valeur montait un peu plus chaque jour. La hausse des taux d’emprunt continue (taux variables, reset de Subprimes), et le manque initial de revenu de ces emprunteurs a entraîné l’incapacité des ménages à rembourser. Des millions d’Américains modestes ont ainsi perdu leur maison, entraînant un excès du stock de logements et un effondrement des prix de l’immobilier.
Dès lors, les banques mais aussi les rehausseurs de crédits qui avaient misé directement sur ce type de prêts en ont fait les frais (Citigroup, JP Morgan Chase, Freddy Mac, Fanny Mae,). Idem pour l’ensemble des structures financières ayant racheté ces fameux produits titrisés à base de subprimes (RMBS, CDO, ABS sur home equity loans) dont les rendements étaient attrayants et les risques quasi-inexistants…. à en croire les agences de notation.
Les banques de financement et d’investissement avaient donc investis massivement sur les marchés, courant après ces papiers magiques (forts rendements, risques nuls). Conséquence, un accroissement considérable de leur endettement: pour les banques américaines : de 50% en 95 à 120% du PIB en 2008, pour les banques de la Zone Euro de 60% en 1998 à 115% du PIB en 2008. Des chiffres astronomiques.
En s’effondrant, le marché immobilier américain a donc entraîné une baisse fulgurante de ces produits titrisés. Cette perte de valeur subite de ces titres a détérioré le bilan des banques dans l’ensemble des pays occidentaux à une vitesse exponentielle. En Europe aussi, de Royal Bank of Scotland, HBOS, Dexia, Fortis, UBS ou encore Société Générale et BNP Paribas, toutes les grandes structures financières ont souffert de la baisse de ces produits. Conséquence: des dépréciations massives, des «profit warnings», et la méfiance des marchés financiers (baisse de tous les indices : actions, obligations, attaques spéculatives sur les banques).
Les banques ont alors arrêté de se prêter, créant une véritable paralysie du marché monétaire (malgré la baisse des taux des banques centrales). La défiance de tous les agents économiques (banquiers, investisseurs, opérateurs de marché mais aussi épargnants et consommateurs) devenait intenable.
La faillite de Northern Rock est le symbole de l’assèchement du marché monétaire. Cette structure n’avait aucun problème de solvabilité mais son refinancement quotidien dépendait chaque jour de la bonne volonté des marchés financiers. On appelle cela un problème de gestion actif/passif: les banques prêtent à long terme mais doivent se refinancer quotidiennement à court terme. L’impossibilité de transformer son bilan en espèces sonnantes et trébuchantes, et le manque de confiance des prêteurs ont été fatales à Northen Rock. Enfin la faillite de Lehman Brothers en septembre et la volonté des autorités américaines de «montrer l’exemple» en décidant de ne pas intervenir pour la «sauver» a véritablement constitué un point de non retour….
De la faillite des banques à la hausse massive de l’endettement des Etats
Dès le mois d’octobre puis en novembre lors du “sommet de Washington”, les Etats ont décidé d’intervenir massivement en annonçant différentes mesures sans équivoque. Objectif: restaurer au plus vite la confiance de tous les agents économiques. Parmi ces mesures, que nous avons déjà évoquées, une recapitalisation des banques, la garantie des dépôts des épargnants, et celle des refinancements interbancaires.
Toutes ces actions ont entraîné des dépenses sans précédent. 350 Milliards de dollars aux Etats-Unis rien que pour la recapitalisation des banques, 37 Milliards de livres au Royaume-Uni, 21 Milliards d’euros en France. Sans parler des garanties et des lignes de crédit apportées: 1450 Milliards de dollars aux Etats-Unis, 250 Milliards au Royaume-Uni, 485 Milliards d’euros en Irlande.
Au-delà de la nécessité de l’intervention des Etats pour stopper l’hémorragie financière, la crise économique est devenue une réalité “officielle” lorsque le NBER (National Bureau for Economic Research) a annoncé le début de la récession aux Etats-Unis fin 2007. Le Royaume-Uni et la Zone Euro sont aujourd’hui statistiquement dans la même situation, avec au moins 2 variations trimestrielles négatives du Produit Intérieur Brut.
Après la crise financière et les premières dépenses gouvernementales, de nouvelles relances budgétaires ont dû être mises en place afin d’éviter une dépression économique telle que le Japon l’a connue dans les années 90: stagnation de l’économie, déflation marquée, baisse de la consommation des ménages.
2009 s’annonce donc sous le signe d’importantes dépenses publiques. Avec plus de 800 Milliards de dollars pour les Etats-Unis ainsi que le Japon, 200 milliards pour la Russie, plus de 80 Milliards d’euros pour l’Allemagne ou 26 pour la France -en attendant sans doute un second plan de relance- tous les Etats se sont fortement mobilisés. Mais à quel prix ?
La hausse des déficits publics pour 2009/2010 est impressionnante et pose la question de leur viabilité. L’Etat américain a désormais plus de 75% de dettes (en % du PIB), la France sera sensiblement au même niveau. La Grêce est à 100% et l’Italie à près de 120%. Jusqu’où l’endettement est-il viable?
La faillite des nombreux ménages américains, le sauvetage des banques, mais aussi la quasi-faillite de l’Islande, du Pakistan ou de l’Ukraine doivent nous alerter.
De la hausse massive de l’endettement des Etats à un risque de «quasi-faillite»?
Cette hausse des déficits publics n’est pas sans conséquence. Lorsqu’un ménage emprunte à une banque, il rembourse les intérêts et le capital. Le raisonnement est de moins en moins valable pour les Etats qui émettent régulièrement sur les marchés financiers des obligations gouvernementales afin de rembourser celles qui arrivent à échéance. Dans ce cas, on considère que les pays ayant une épargne publique et privée importante – comme la Chine, ou les pays exportateurs de matière première – continueront éternellement à financer les pays endettés.
Ce postulat est dangereux et ne semble pas se vérifier. L’Islande est l’exemple d’un pays «riche» n’ayant pas su, sans l’aide du FMI, faire face à ses échéances. Un tel scénario n’est pas à exclure dans certains pays de la zone euro. Une éventualité face à laquelle l’Union Européenne est pour l’instant désarmée.
A court terme, les conséquences d’une hausse de la dette publique conduisent les prêteurs sur les marchés financiers à considérer que l’Etat a une plus grande probabilité de pouvoir faire faillite. La dégradation de la notation de l’Italie, il y a quelques mois, était déjà un signe sans précédent. Le coût de l’argent a ainsi tendance à monter, les prêteurs considérant qu’une rémunération plus importante est nécessaire en contre partie de l’augmentation de la probabilité de défaut.
Le 2 février, le gouvernement allemand se refinançait sur les marchés à 3.29% sur 10 ans alors que la France devait payer 3.76 et l’Espagne 4.40%. Que dire de l’Italie et ses 4.50% où l’Irlande et ses 5.48%!
La hausse de ses coûts a par ailleurs des répercussions sur les comptes publics, dégradant ainsi un peu plus les équilibres budgétaires. A moyen et long terme, les risques sont nombreux, le principal étant celui d’une cessation de paiement. Tout comme une entreprise fortement endettée, ou un simple consommateur, l’Etat doit faire face aux remboursements des obligations émises. Il doit aussi être en mesure de trouver régulièrement des prêteurs afin d’émettre de nouvelles obligations permettant de couvrir les dettes – qu’il rembourse partiellement chaque année – et le déficit budgétaire de l’année en cours.
Rappelons nous des emprunts russes ou de la cessation de paiement du Mexique: le risque de faillite d’Etats n’est pas un simple mythe!
Il existe par ailleurs un deuxième danger très destructeur: le risque de change. Lorsqu’un pays connaît de graves déséquilibres macroéconomiques – déficit commercial et budgétaire, inflation, endettement important des ménages, peu de réserves de change – les investisseurs, inquiets, retirent une partie de leurs capitaux investis dans le pays. Conséquence: un excès d’offre de la monnaie locale et donc une baisse de la devise. De nombreux spéculateurs peuvent alors jouer la monnaie à la baisse, avec des effets de leviers importants, accentuant ainsi la chute. La monnaie peut ainsi perdre énormément de sa valeur et créer de l’inflation importée. Une spirale destructrice dont les exemples sont nombreux : crise du Peso mexicain en 1994 ou du baht thaïlandais en 1997.
N’oublions donc pas que les déséquilibres macroéconomiques que nous avons créés, avec nos déficits publics et commerciaux, devront un jour être remboursés. Du moins si l’on ne souhaite pas vivre une crise plus grave que celle de 2008 caractérisée par le surendettement des ménages.
Le risque majeur, aujourd’hui, est donc de passer d’un surendettement des ménages à un surendettement des Etats.
(Source : ecofi.blog.lemonde)