Pour Michel Rocard, ex-Premier ministre, président du conseil scientifique de Terra Nova, l’Europe fédérale, dont il était un fervent partisan, est morte. Il faut donc que l’Union européenne s’appuie désormais sur son «point fort» : l’élargissement.
Dans ce projet d’une Europe désincarnée, l’adhésion de la Turquie est évidemment présentée comme un premier pas vers un élargissement «à tout le pourtour méditerranéen, voire au-delà.»
La dynamique de l’élargissement, en effet, ne se tarit pas. Les adhésions sont des succès : elles apportent stabilisation démocratique et développement économique. Après chaque élargissement, les pays aux nouvelles frontières de l’Union n’ont qu’une hâte, adhérer à leur tour. Dans ce scénario de l’élargissement, il ne s’agit plus de construire une nation européenne mais de contribuer à rapprocher les peuples. L’Union a permis aux ennemis mortels d’hier – la France et l’Allemagne – de vivre ensemble en harmonie et de prospérer.
Elle a vocation à étendre son mode de régulation démocratique et économique le plus largement autour d’elle. C’est d’autant plus crucial pour l’avenir du monde que les grandes failles de la mondialisation, celles du «choc des civilisations» entre l’Islam et l’Occident, passent à ses frontières : Turquie, Moyen Orient, Maghreb. L’Europe, par l’élargissement, pourrait ainsi contribuer à les pacifier.
C’est pourquoi la question de l’adhésion de la Turquie est déterminante. Si l’Europe la rejette, elle se définit comme un club chrétien et participe du choc des civilisations. Je pense que c’est justement parce que la Turquie est musulmane, et non en dépit de sa religion, que nous avons intérêt à ce qu’elle intègre l’Union européenne. L’Europe sera dès lors l’exemple du dialogue pacifié entre la civilisation judéo-chrétienne et l’islam. Et la même logique pourra s’appliquer à l’élargissement à tout le pourtour méditerranéen, voire au-delà. Quelle contribution extraordinaire à l’avenir du monde ! (…)
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