Repris d’un commentaire. Publié sur seule décision du site.
L’Occident n’a pas attendu [l’immigration massive] pour se passionner pour les civilisations extérieures et les cultures des autres peuples. Les sources de l’Histoire de l’Art européen sont un balancement perpétuel entre des réinterprétations de tous les «exotismes», des «chinoiseries» sous Louis XV, au cubisme des Demoiselles d’Avignon passées au filtre de l’Art Nègre.
Toutes les cultures mondiales ont été réemployées par le génie occidental. Des cultures géographiquement éloignées (japonisme de l’Art Nouveau) ou proches (modes de l’Espagne sous Hugo, de l’Italie tout au long du XIXe) mais aussi des cultures éloignées dans le temps : redécouverte de l’Antiquité à la Renaissance, néoclacissisme, égyptomanie…
Aucune n’y a échappé. On trouve même de brèves périodes de néo-celtisme (Ossian), d’amérindianisme (Chateaubriand), de russophilie (au XVIIIe), qui ont leur répercussions dans les Arts majeurs et décoratifs…
Il n’y a guère que les cultures esquimaudes et alakaloufs qui n’ont pas été «remixées» par les artistes européens. Et ces exotismes se sont diffusés dans toute l’esthétique, et même la vie quotidienne des occidentaux.
Qui sait qu’en France, depuis un siècle et demi, nous ne dinons plus avec l’ordonnancement des plats dit « à la française » , mais « à la russe », triomphe d‘une mode qui parut plus pratique (c’est pour cela que l’expression entre la poire et le fromage est « inversée ») ?
Qui fait le rapprochement entre le bouleversement des formes amenée par le cubisme, lui même provenant entre autres d’une relecture des arts africains, sur l’architecture moderne, et de fait sur sa lampe Ikéa ?
Qui sait ce que doit l’expressionnisme allemand aux arts mélanésiens, en raison des colonies allemandes du Pacifique ?
Qui peut nier dans l’Histoire de la Musique les apports successifs des musiques populaires allemande, italienne, espagnole — elle-même très arabisée — slave, puis du jazz et du folklore américain lui-même, rencontre du blues noir et des musiques irlandaises et d’Europe centrale… ?
Et si l’on commence à entrer dans le domaine alimentaire ou vestimentaire, puis dans celui du vocabulaire, on finit par expliquer le monde .
Seulement voila, il y a un hic à cette mixité culturelle dont le constat ferait la joie des bobos et l’argument des benêts relativistes. C’est que tout ceci ne concerne que l’Occident (ou presque). A de rarissimes exceptions (Japon ), l’inverse n’est pas vraie. C’est en solitaires que nous jouons à ce jeu de construction.
C’est à dire que si nous faisons feu de tout bois pour éclairer notre créativité, que tout nous fait essence, il n’en va pas de même dans ces cultures lointaines où nous puisons nos inspirations.
L’Europe a inventé l’ethnologie, compilé l’Histoire culturelle et artistique mondiale, elle a exploré avec l’obsession des détails la planète entière. Elle écoute des chants pygmées, des tambours burkinabés, du blues du Delta et de la musique sacrée népalaise, elle a une passion pour le monde extérieur. Le moindre retraité plus ou moins inculte a contemplé Angkor ou Borobudur. Nos villes sont ponctuées de restaurants exotiques et l’on peut manger tibétain à Monptellier, gouter des spécialités éthiopiennes à Paris ou Toulouse… Il devient même plus difficile de trouver un bon cassoulet à Castelnaudary ou une bonne choucroute à Metz qu’un excellent tajine .
Mais ailleurs, peu, ou rien. Chine, Inde, Amériques sont des civilisations-mondes, des blocs culturels ou presque rien d’européen ne soulève l’intérêt collectif des masses. Certes l’aisance aidant, les élites s’intéressent à nos cultures, mais l’échange est singulièrement asymétrique.
Il devient totalement à sens unique quand on arrive en Afrique et au Moyen et Proche-Orient, particulièrement en zone musulmane. La curiosité y semble une chose inconnue. Le mot culture n’a pas de sens, si ce n’est peut-être une vague réminiscence d’un passé local, que beaucoup rêvent de détruire (en cas de triomphe de l’intégrisme au Caire, les égyptologues ont du mouron à se faire). Un désert culturel.
Que l’on arrête, par décence, de nous enfumer avec les « apports culturels ». L’immense majorité des immigrés en Europe n’ont pas cette denrée dans leurs bagages. Et n’éprouvent aucun intérêt pour notre culture, notre passé, nos réalisations. Mieux, bien souvent, ils les méprisent.
La vérité est que la culture est une notion culturelle justement. Elle a une lecture ethno-culturelle. Et certaines sociétés y sont imperméables. C’est le sens que nous lui accordons — et que, comme pour tant de choses, nous faisons l’erreur de croire universel — qui justement, pour nous a un sens universel. C’est notre capacité à absorber, aimer et réinterpréter la culture des autres par notre génie propre qui en constitue un particularisme.
Oui, notre universalisme est un particularisme .
Je me souviens d’un livre d’exploration des années 50, « Expédition Orénoque Amazone », je crois , où l’auteur raconte avoir fait écouter du Mozart à des Indiens des hauts plateaux, non contactés avant son arrivée. Les guerriers étaient bouleversés, transfigurés. Ils en redemandaient, alors que le Jazz New Orleans leur faisait faire des grimaces.
Je croirais à l’inter-pénétrabilité des cultures et à la mixitude dans la diversitude le jour où je verrais des barbus en djellabas au Festival de Salzbourg .