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Ils voulaient fuir l’impôt sur la fortune et la rigueur de l’administration française. Ils ont opté pour Bruxelles, si proche de Paris. Une ville à taille humaine, où ils peuvent souvent s’offrir une maison de maître avec jardin. Où la vie est aussi douce qu’en province. Où dîners, cocktails et fêtes se succèdent. Bien mieux qu’un paradis fiscal, ils y ont trouvé un paradis tout court.

Printemps 1997. Le fondateur d’Air Liberté, Lofti Belhassine, et son épouse envisagent de quitter Montparnasse pour échapper au tumulte de la vie parisienne et à un taux d’imposition qui les prive de 93 % de leurs revenus.
Mais où aller ? Ils partent en reconnaissance. Trois jours à Genève, trois à Londres, puis trois autres à Bruxelles.
Langue française, bonnes écoles, proximité de Paris : la capitale de l’Europe l’emporte haut la main. Douze ans plus tard, ils ne regrettent rien. Bien au contraire.
Assis dans la grande salle à manger de leur hôtel particulier de 1.500 mètres carrés, situé à deux pas d’un étang dans un quartier cossu de Bruxelles, ils se félicitent chaque jour de vivre ici. Faut-il parler d’exil ou de villégiature ?
Comme eux, beaucoup de Français installés en Belgique ont quitté l’Hexagone pour des raisons fiscales. Mais rares sont ceux qui, si l’impôt sur la fortune était supprimé demain, rentreraient à coup sûr au pays. La Belgique, à leurs yeux, n’est pas un paradis fiscal. C’est un paradis tout court.
Certes, ils sont venus vivre dans un royaume sans ISF, sans impôt sur les plus-values mobilières, qui ne taxe que symboliquement les revenus locatifs, et ne prélève aucun droit de mutation sur les donations mobilières pourvu qu’on ne décède pas dans les trois ans. Ce qui permet aux « quadra » ou aux « quinqua » ayant fait fortune d’apporter les actions de leur entreprise à un holding belge, pour les revendre ensuite en échappant aux 19 % d’imposition pratiqués en France. Ou aux sexagénaires d’organiser leur succession l’esprit tranquille.
Evidemment, les règles fiscales sont plus souples qu’en France, ici où les véhicules de société sont si peu taxés qu’une Audi A4 coûte à son conducteur à peine 1.000 euros d’impôt par an. Où les notes de restaurant sont déductibles par les entreprises à près de 70 %. Où le patron peut puiser dans la trésorerie de sa société pour financer la piscine de sa maison de campagne, pourvu qu’il la rembourse avant l’arrêté des comptes.
Où les contrôles fiscaux, surtout, sont pratiqués sur un ton bien moins comminatoire. « Les Français qui arrivent ici sont traumatisés par le fisc, explique Bruno Moussoux, conseil fiscal de son état. A tel point qu’il y a de quoi se demander si nous, les fiscalistes, nous n’avons pas tendance à devenir fiscanalystes. »
Mais résumer la Belgique à sa seule fiscalité serait la caricaturer. Et réduire à un simple exercice d’optimisation financière les causes d’un déménagement serait un peu court.
« De combien disposez-vous pour acheter un logement ? », aurait un jour demandé un agent immobilier à un membre de la famille Taittinger venu s’installer à Bruxelles. « Entre 6 et 8 millions d’euros », répond tout de go l’intéressé. « Mais c’est beaucoup trop, vous n’allez pas trouver ! Ou alors meublé, avec des tableaux de maître accrochés aux murs ! »
Humour belge ? Pas seulement. Les prix n’ont rien à voir avec ceux de Paris. L’offre non plus. Le mètre carré, inaccessible à moins de 8.000 ou 10.000 euros dans le 7e, le 8e ou le 16e arrondissement de notre capitale, n’excède pas 3.000 ou 4.000 euros à Ixelles ou Uccle, deux des quartiers les plus huppés de Bruxelles, qui comptent l’un comme l’autre 10 % de Français. D’ailleurs, les intérieurs sont si vastes que personne, ici, ne parle en mètres carrés. On aime ou on n’aime pas. C’est tout.
Et il y a de quoi aimer ! Dans cette capitale où les maisons de ville sont plus nombreuses que les immeubles, « les Français qui arrivent recherchent plutôt des maisons avec jardin »,explique Jean de Kerchove, directeur de l’agence immobilière Le Lion, qui installe encore un ou deux Français par mois, contre quatre ou cinq avant la crise.
Budget disponible ? « Souvent, de 1 à 3 millions d’euros. » Largement de quoi acquérir ce luxueux appartement de 300 mètres carrés, en vente pour pas plus de 1,5 million d’euros, voire cette maison de maître de 600 mètres carrés habitables avenue Molière, à céder pour 3,5 millions d’euros. Avec piscine couverte au fond du jardin, cela va de soi.
L’avenue Molière : l’une des quelques « rues à Français » bruxelloises. Avec la si joliment arborée avenue Lepoutre ou, à quelques centaines de mètres de là, la très « bobo » place du Châtelain, elles sont toutes les trois situées à Ixelles. Ici, restaurants à la mode et commerces de proximité permettent de vivre sans voiture, comme à Paris.
Place Brugmann, Candide est l’une des rares librairies de Bruxelles où « Le Monde » est disponible le jour même. Une quarantaine d’exemplaires partent dans l’après-midi, plus une trentaine de « Figaro » chaque jour.
Plus excentrés, mais plus verts et surtout plus proches de l’école européenne et du lycée français, les quartiers Fort Jaco, Errera ou Prince d’Orange, à Uccle.
Ici, la vie est aussi douce que dans une ville de province, les avantages d’une capitale en plus. Facile de garer sa voiture, en tout cas en journée – surtout si vous avez un garage au pied de votre hôtel particulier ! Facile de se déplacer malgré des transports en commun souvent indigents tant la ville, dix fois moins peuplée que Paris avec seulement 1 million d’habitants, est restée à taille humaine.
Facile de rentrer à Paris, précisément, car, d’Ixelles, la gare de Bruxelles-Midi n’est qu’à un quart d’heure de voiture, et de là, celle de Paris-Nord à seulement une heure vingt de Thalys – avec un départ toutes les demi-heures. Facile de profiter de la forêt de Soignes, qui borde le sud de la ville, quand ce n’est pas des grands parcs qui, bien plus qu’à Paris, permettent de respirer.
« C’est comme si on avait déménagé le 6e arrondissement de Paris à Rambouillet »,résume Lofti Belhassine. Cerise sur le gâteau, la mer d’un côté, les Ardennes de l’autre, sont à moins d’une heure de voiture.
Les relations avec les Belges aussi, sont faciles. Pas besoin de prendre rendez-vous des semaines à l’avance pour rencontrer quelqu’un. Les gens sont accessibles, disponibles, en un mot accueillants. Même si cela se mérite. « Il m’a quand même fallu deux ans pour me sentir intégrée », reconnaît la romancière Anne-Marie Mitterrand, nièce de l’ancien président et belle-soeur de l’actuel ministre.
« J’ai eu les six premiers mois un petit coup de blues », confesse la femme d’un autre exilé fiscal, qui a mis du temps à se refaire un cercle d’amis. « Les Français, en tout cas, ne vivent pas repliés sur eux-mêmes. Ils se mêlent aux Belges, et ils apprécient le côté cosmopolite de Bruxelles »,explique Yves de Jonghe d’Ardoye, échevin en charge de la culture à la maison communale d’Ixelles.
Il y a bien les restaurants où les Français se retrouvent, comme le Canterbury, sur les étangs d’Ixelles, le Toucan, au croisement de l’avenue Lepoutre et de la chaussée de Waterloo, Lola, aux Sablons, ou encore le très tendance Café Callens au bout de l’avenue Louise. Les opéras au Théâtre de la Monnaie, où l’on croise toujours quelqu’un que l’on connaît.
Mais, de vernissages en dîners, les Français se lient vite d’amitié avec la bourgeoisie locale. Ils versent leur écot aux oeuvres caritatives. Font vivre le commerce et entretiennent des relations de bon voisinage avec les hommes politiques. Ils deviennent membres du Cercle de Lorraine ou du Cercle gaulois pour y parler affaires. Bref, ils s’intègrent.
Seul bémol : ils font flamber l’immobilier. Un Belge qui souhaitait vendre son hôtel particulier avant les dernières présidentielles françaises s’est ainsi vu conseiller : « Attendez le résultat des élections, si la gauche revient au pouvoir, il prendra au moins 20 % ! »

On sort beaucoup, on s’invite aussi. « Nous n’avons jamais moins de trois ou quatre cocktails ou dîners par semaine », raconte l’ex-commissaire-priseur Jacques Tajan, qui a renoncé à se retirer dans le Sud-Ouest, sur l’Adour, près de Bayonne, pour venir s’installer à moins de 15 kilomètres au sud de la Grand-Place, dans la commune néerlandophone de Rhode-Saint-Genèse.
Parfois, on n’hésite pas à voir grand. « Nous organisons des fêtes de 300 personnes pour des budgets de 150.000 à 200.000 euros, raconte Patrice Ryelandt, dirigeant d’Eventives, une société d’événementiel dont la clientèle privée est à 10 % française. Mais je sais que des Français ont organisé des fêtes à Bruxelles pour des budgets dépassant les 500.000 euros. »
Lorsque Anne-Marie Mitterrand prend la nationalité belge, elle fait reproduire son nouveau passeport sur les 500 cartons d’invitation. Et quand l’ambassade de France en Belgique organise sa garden-party, les 14 juillet 2006 et 2007, c’est Liberty TV, l’entreprise que Lofti Belhassine a créée ici, qui sponsorise !

Bien sûr, la vie culturelle n’est pas aussi dense qu’à Paris. Mais qu’importe. D’autant qu’il y a largement de quoi faire. « Il y a plus de 1.000 expositions par an à Bruxelles, explique Jacques Tajan. Sans compter les musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, où l’on peut aller tous les jours pendant dix ans en y découvrant chaque fois quelque chose de nouveau. »Certains abusent des week-ends à Bruges, à une heure de Bruxelles en voiture.
A moins de rentrer à Paris, évidemment.
Les Echos

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