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Un article de Philippe Béchade, collaborateur de La Chronique Agora, site “contrarien” que nous avons déjà cité, fait en termes caustiques la synthèse de l’étrange climat régnant en ce moment sur les marchés boursiers :

▪ Un déluge de mauvaises nouvelles avait fait plier Wall Street de 0,8% et les places européennes de 1,5% vendredi. En cause, le moral des ménages américains — dans un état aussi pitoyable en octobre que les résultats commerciaux des banques de réseau américaines.
L’actualité du week-end était un désert — à part la faillite de la 99ème banque régionale aux Etats-Unis. Quant aux nouvelles ce lundi, elles se résumaient à une étude négative de la NAHB (la National Association of Home Builders/Wells Fargo) sur le sentiment des constructeurs de maisons individuelles : il retombe vers 18 contre 19 en octobre et 72 fin 2006. C’est donc tout naturellement qu’un vent d’euphorie s’est levé sur les places occidentales dès la reprise des cotations.
A Paris, le CAC 40 a rebondi de 65 points (1,7%) ; moins de 3,1 milliards d’euros ont été échangés. Les places européennes ont grimpé de 1,85% en moyenne, avec des gains dépassant les 1,9% à Francfort.
A Wall Street, le Dow Jones et le S&P 500 gagnaient 1,1% à la mi-journée, dans le sillage des valeurs bancaires pourtant attaquées vendredi. Le Nasdaq en était à +0,95%… Ces trois indices inscrivent au passage de nouveaux records annuels après à peine une heure de cotation.
Quelques rares esprits suspicieux n’ont pas manqué de s’étonner de cette performance pour le moins inattendue… mais cela est dû à leur mauvaise habitude de se préoccuper d’un élément bénin que les marchés ont pris la saine habitude d’ignorer royalement : la réalité.
▪ Le marché, lui, a immédiatement su faire la synthèse de l’actualité du jour. Pas de trimestriels majeurs avant la clôture lundi soir, aucune statistique macro-économique (sauf le baromètre NAHB en baisse), pas de rebond du dollar (il replonge sous les 1,4950/euro), pas de variation notable du pétrole à la hausse (il plafonne sous les 79 $).
Autant de non-évènements ne pouvaient que déclencher l’euphorie des investisseurs. Les commentateurs n’ont pas tardé à invoquer la résurgence de l’optimisme avant la publication d’une nouvelle cascade de résultats au cours des prochaines 48 heures.
L’argument est peut-être pertinent… mais il n’explique pas pourquoi le CAC 40 a pris 20 points en une poignée de minutes alors qu’aucune annonce favorable n’a pu être identifiée comme catalyseur.
Les futures américaines ont certes bondi de +0,1 à 0,6% au même moment (en pleine nuit à New York : les taureaux (*) insomniaques ont vraiment de la chance ces temps-ci, les cours décalent systématiquement à la hausse) — mais cela renvoie à la question précédente : en vertu de quel soudain influx positif ?
Une fois les indices européens revenus au contact de leurs meilleurs niveaux de clôture de jeudi (en moins d’une heure, chapeau bas !), ils n’ont plus gagné ni reperdu un pouce de terrain durant plus de six heures, à 0,15% près à la hausse comme à la baisse.
Le CAC 40 cèdera une quinzaine de points peu après une ouverture hésitante de Wall Street, et puis rebelote… Une soudaine envolée de 30 points en une poignée de minutes, comme en début de matinée, dans le sillage des indices américains.
Le Dow Jones ne fera pas les choses à moitié : +110 points en 45 minutes sur la base de… rien. Pas l’ombre d’une dépêche ou d’un événement bouleversant la donne initiale.
D’où cette question un peu naïve : de quel genre de psychologie de marché un tel scénario constitue-t-il le reflet ? Nous n’aurons pas besoin de creuser le sujet très loin : une cascade de mauvais trimestriels et des chiffres conjoncturels consternants valent entre 0,5% et 1% de baisse à Wall Street.
Une seule publication de trimestriels “meilleurs que prévus” au milieu d’un lot de statistiques contradictoires — ou pas de statistiques du tout, comme ce lundi… et c’est +1,5% à +2% en quelques heures.
Nous passerons sur une mémoire immédiate très sélective puisque le cabinet KBW s’inquiète de la survalorisation boursière des géants Fannie Mae et Freddie Mac… qu’une dégradation de notation fait rechuter de 15% à 18%.
Tout ce qui précède pourrait prêter à sourire — après tout, une hausse des marchés, cela arrange tout le monde. Sauf que la manipulation des cours apparaît si évidente, les ficelles sont si grosses… et la “main invisible” porte des gants de gardien de but avec le logo de la marque du fabriquant imprimé en caractères super gras !

La fonction du marché qui consiste à fixer une valeur — même subjective — a rarement été aussi ouvertement dévoyée. Le but consiste désormais à faire grimper les cours de façon astronomique pour générer le versement de bonus dont le montant constitue une insulte aux 7,5 millions de contribuables américains qui perdront leurs logements d’ici fin 2010 et aux 30 millions de chômeurs que comptent désormais les Etats-Unis.
Les 140 milliards de dollars de profits que vont se partager quelques milliers de brasseurs d’argent à la City et à Wall Street représentent rien moins que le déficit budgétaire de la France pour l’exercice fiscal en cours… et le 10ème du déficit budgétaire américain en 2009 !
C’est le plus gigantesque — et le plus rapide — transfert de richesse collective au profit d’une micro-minorité de privilégiés dans l’histoire du capitalisme. Et leur optimisme inoxydable peut se comprendre : ce serait la preuve ultime de son efficacité ! Nous assistons à la genèse du meilleur des mondes : le leur !
Vous avez dit “économie de marché” ?

(*) NDLR : jeu de mots sur la tendance haussière et optimiste du Marché dans le jargon anglo-saxon (de “bull” = taureau ; “bullish” = taurin ; “bull market” = marché orienté à l’achat et donc, à la hausse), par opposition à la tendance prudente voire baissière (symbolisée par “bear” = ours, et ses propres déclinaisons terminologiques).
La Chronique Agora
(Merci à Christopher Johnson)

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