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La crise, quelle crise ? Pékin a annoncé, jeudi 22 octobre, que le produit intérieur brut (PIB) chinois avait progressé de 8,9% au troisième trimestre, sur un an, après 7,9 % au deuxième trimestre et 6,1% au premier.
Malgré des exportations en berne, en raison du ralentissement de la demande dans les pays occidentaux, la croissance devrait atteindre l’objectif des 8 % annoncé par le gouvernement en début d’année.
Grâce à une expansion spectaculaire du crédit bancaire et des investissements publics, la Chine est parvenue à éviter un ralentissement trop brusque de sa machine économique.
Lancé fin 2008, le gigantesque plan de soutien, d’un montant de 4000 milliards de yuans (390 milliards d’euros) en deux ans, soit l’équivalent de 13 % du PIB, a prouvé son efficacité.
Mais beaucoup d’experts s’inquiètent. Ils craignent la formation de bulles géantes et l’apparition de déséquilibres économiques majeurs.
Sommées de financer les projets de grands travaux proposés par les gouvernements locaux, les banques chinoises ont déboursé 8670 milliards de yuans de crédits sur les neuf premiers mois de l’année, soit 75 % de plus que pour l’ensemble de 2008.
Si le plan de relance a permis de maintenir la croissance de la consommation – les ventes d’automobiles ont explosé, aidées par des subventions sur les petites cylindrées –, le poids de l’investissement public s’est encore accru, conduisant à des duplications de projets d’infrastructures et à des surcapacités monstres dans certains secteurs.
Certains économistes n’hésitent pas à évoquer une dangereuse fuite en avant. “Les risques ont augmenté en même temps que les crédits. Il nous faut y faire très attention, et apporter des solutions”, a prévenu le président de la commission de régulation bancaire chinoise, Liu Mingkang, jeudi sur son site Internet.
Les banques ont prêté sur instruction à des structures locales, avec la garantie des pouvoirs publics : pour les analystes, c’est l’assurance d’une allocation très peu efficace du capital, et de montagnes de mauvaises créances. En outre, clament-ils, la dette publique chinoise (environ un quart du PIB) est aussi sous-estimée.
Dans les milieux d’affaires, on sonne l’alarme : “Je ne crois pas qu’un sursaut rapide et brusque provoqué par de l’investissement fixe soit une bonne chose pour la Chine. Et je ne pense pas qu’il faille avoir peur d’un ralentissement modéré”, a écrit Qin Xiao, le président de la China Merchants Bank, la première banque privée chinoise, dans une tribune au ton étonnamment critique, publiée jeudi par le Financial Times.
M. Qin observe que, “bien que les prix à la consommation soient généralement sous contrôle, des bulles de prix d’actifs sont en train de croître rapidement à cause des énormes injections de liquidités pratiquées par les gouvernements dans le monde”. “En Chine, les bulles sur les marchés des actions et de l’immobilier sont un souci”, précise-t-il.
M. Qin se fait l’avocat d’une politique monétaire beaucoup moins expansive. Selon lui, la période actuelle marque un recul dans la transition vers une économie de marché: “Le gouvernement chinois doit continuer à desserrer son étreinte… Le marché des changes doit être libéralisé. Les privatisations doivent aller de l’avant. La Chine a besoin de marchés plus libres, et non pas de plus de contrôle étatique.”
Davantage tournées vers l’exportation, les petites et moyennes entreprises (PME) chinoises, qui forment le gros du secteur privé, accusent le coup. Les groupes d’Etat prospèrent – mais à tort et à travers, dans des secteurs où les besoins réels de l’économie sont relatifs : les gouvernements locaux ont souvent concentré l’effort d’investissement là où il était le plus facile de le faire, et où c’était le plus lucratif.
Les filières classiques de l’industrie lourde ont été choyées – comme les chantiers navals, dont la capacité de production doit passer, d’ici à 2011, d’environ 29 millions de tonnes de port en lourd, aujourd’hui, à 50 millions. “Les enfants chéris de la reprise économique, ce sont clairement les sociétés d’Etat”, constate le gestionnaire d’un fonds d’investissement étranger spécialisé sur la Chine. “Les banques sont naturellement amenées à leur prêter en priorité. Les restructurations en raison des surcapacités se font en leur faveur. Et le gouvernement central est très déterminé à créer des champions nationaux. L’économie reste ultradominée par les acteurs publics”, poursuit-il.
L’alerte aux surcapacités a été donnée par le Conseil d’Etat, c’est-à-dire le gouvernement chinois, qui vient d’émettre une série de directives pour y remédier dans au moins six secteurs – la production d’acier, d’aluminium, de ciment, de verre pressé, mais aussi de matériel pour éoliennes, ou encore de polysilicium, un composant-clé de l’industrie des semi-conducteurs.

“Ce qui a particulièrement attiré notre attention, c’est que ce ne sont pas seulement les industries traditionnelles, telles que l’acier et le ciment, qui souffrent de surcapacités productives et poursuivent toujours une expansion aveugle”, pouvait-on lire sur le site du Conseil d’Etat il y a quelques jours.
Celui-ci estime ainsi que 58 millions de tonnes de capacité de production d’acier sont en construction de manière illégitime, c’est-à-dire sans avoir été dûment autorisées.
Dans le ciment, 200 nouvelles lignes de production sont en construction – mais le démantèlement des petites cimenteries obsolètes a pris du retard. Les investissements dans l’industrie du ciment ont ainsi crû de 65,8 % sur les sept premiers mois de l’année 2009, alors que la surcapacité de l’industrie du ciment chinoise est estimée à au moins 300 millions de tonnes, ce qui représente l’équivalent de la consommation annuelle de l’Inde, des Etats-Unis et du Japon combinés!
Les directives centrales sont bien là – mais rien ne dit que les gouvernements locaux, habitués à faire la sourde oreille, vont les appliquer.

Le Monde

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