Après des années de croissance, l’architecture française subit de plein fouet la crise économique. La Mutuelle des architectes de France (MAF), qui assure près de 80 % des architectes, constate que le nombre de nouveaux chantiers a baissé de 8 %, en 2008, et prévoit, pour 2009, une accentuation de la chute – jusqu’à 20 % – en à peine deux ans. Même les plus grands noms de la profession souffrent.
“Du jour au lendemain, au printemps 2008, les projets ont été interrompus, quasiment sans indemnités de résiliation, et seuls les chantiers en cours ont pu se poursuivre“, raconte un architecte. À l’époque, il était salarié d’une agence parisienne. Il a été licencié depuis. “La commande de bureaux privés par de grandes foncières et des fonds d’investissement avait permis d’employer jusqu’à vingt-cinq personnes, mais il ne reste plus, aujourd’hui, que les quatre associés fondateurs“, soupire-t-il.
Selon le Conseil national de l’ordre des architectes, le revenu net moyen tiré de l’activité a diminué d’un tiers en un an, passant de 41 139 euros en 2007 à 28 184 euros en 2008.
Jacques Ferrier, qui peut heureusement compter sur des chantiers à l’étranger, notamment en Chine, déplore que le projet de palais de justice de Rouen, qui était bouclé, ait été reporté à la veille du lancement de l’appel d’offres auprès des entreprises, entraînant l’annulation de la construction de bâtiments de bureaux alentour, dans un quartier en reconversion.
“Entre la diminution drastique du nombre de chantiers, la baisse du montant des travaux, sur la base duquel est calculée la rémunération des architectes, et le véritable dumping des honoraires, on peut globalement estimer que la baisse du chiffre d’affaires avoisine les 35 %“.
“La profession est aux abois,” alerte Christian Bougeard, président d’AIA, une importante agence de 420 collaborateurs, implantée dans sept villes de France. C’est l’une des rares à associer, à parité, des architectes et des ingénieurs. “Toutes les agences se retrouvent en concurrence, même sur des projets modestes,” comme par exemple à Mantes-la-Jolie (Yvelines), où l’édification d’une école maternelle, un chantier de 4,5 millions d’euros, a attiré 77 compétiteurs.
Après cinq années de croissance, voire d’aisance, le choc est rude. La principale variable d’ajustement est le nombre de salariés, mais “les patrons d’agence, très attachés à leurs collaborateurs, qu’ils considèrent comme leur “sève productive”, ne s’en séparent qu’en dernier recours, affirme Dominique Gendre, conseiller national de l’ordre des architectes, et les vagues de licenciements sont devant nous.”
Le doute s’installe sur l’avenir de la profession et son mode d’exercice, libéral et reposant essentiellement sur de petites et fragiles structures de deux salariés en moyenne (80 % des agences). Les grandes sociétés ont, elles, plus de moyens pour amortir les à-coups. “Chez AIA, où nous n’avons pas enregistré de nouvelle commande depuis dix-huit mois, nous avons réussi à ne pas licencier, indique M. Bougeard, grâce à la suppression, fin 2008, des dividendes versés aux associés et de huit mois de trésorerie. Cela devrait nous permettre de patienter jusqu’à la reprise.” M. Bougeard précise néanmoins que les banquiers lui ont refusé un crédit pour quatre mois supplémentaires. Enfin, plusieurs chantiers à l’étranger, en particulier celui d’un hôpital à Abou Dhabi, aident à traverser cette mauvaise passe.
En outre, le plan de relance gouvernemental n’a aucun impact sur le volume d’affaires des architectes. Celui-ci “s’avère, au mieux, très insuffisant pour l’architecture, au pire, (il est) perçu comme illusoire“, souligne le compte rendu d’une série d’entretiens menée en juillet auprès de quinze agences représentatives par l’IFOP, pour l’ordre des architectes. Interrogés, les professionnels soulignent “l’absence de soutien des pouvoirs publics.“
Un remède à la fragilité de la profession serait d’élargir la mission de l’architecte. “Beaucoup ont abandonné le suivi de chantier, pour ne se consacrer qu’à la conception, mais ont aussi laissé de côté l’urbanisme, le paysage, qu’il leur faudrait reconquérir”, estime Cloud de Grandpré, président du réseau des Maisons de l’architecture. “La crise n’a pas que des inconvénients, rassure pourtant l’architecte Jacques Ferrier, les maîtres d’ouvrage réfléchissent plus longtemps aux projets, sont plus à l’écoute et ouverts à des solutions écologiques et durables, ce qui donne un avantage à ceux qui, dans ce domaine, étaient partis les premiers.”
En France comme partout dans le monde, le développement durable qui, selon M. Dunet, “ouvre un champ d’innovation et renouvelle le dialogue entre l’architecte et son client“, devrait contribuer à redonner leur place à ces professionnels. Le Monde