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Article de Cécilia Gabizon paru dans Le Figaro le 06 mai 2004 sous le titre «Quand les «Gaulois» perdent leurs repères»

Éric a grandi à Aubervilliers, dans une cité populaire. Avec ses frères, ils étaient parmi les rares «blancs». Quand il a percé dans l’édition, il a déçu les critiques parisiens : «Pour eux, un vrai gars des cités est forcément d’origine étrangère. Ils n’imaginent pas de prolétaires blancs.» Encore moins en Seine-Saint-Denis, perçue comme une terre d’immigrés. Dans certains quartiers, les «Gaulois» sont devenus minoritaires. On évoque leurs noms comme s’ils étaient les survivants d’une autre époque.

«Mon fils multiplie les provocations en classe pour faire oublier ses bons résultats. Sinon, ses camarades l’embêtent. La réussite d’un blanc les insupporte. D’autant qu’elle souligne leur propre échec.»

La plupart sont installés dans le département de longue date et les amitiés anciennes résistent au repli communautaire. À Noisy-le-Sec, Chantal, une communiste historique, partage régulièrement couscous ou mafé avec ses voisins. «Les relations sont ici plus chaleureuses qu’en centre ville», assure-t-elle.

Ses enfants ont grandi dans une famille élargie, le palier transformé en salle de jeu. Elle évoque l’entraide, les outils prêtés et les dépannages. Une «culture du groupe», dit-elle. Elle a vu le quartier évoluer, les commerces traditionnels laisser la place aux échoppes de produits halal ou exotiques. Elle regrette la diversité d’antan, mais se reprend vite : «Je ne vais pas virer FN pour défendre une charcuterie !»

Dans la même cité, certains Blancs vivent, eux, retranchés comme une minorité de perdants. Tout les agresse : le marché aux épices, les bandes de jeunes qui squattent les espaces publics, les services sociaux monopolisés, selon eux, par ceux qu’ils appellent «les bronzés». «Nous ne faisons pas le poids. Les Arabes font la loi et comme d’habitude nous la respectons !», dit un vieux monsieur las.

Les plus âgés vivent mal ce qu’ils perçoivent comme une déchéance du quartier, alors que s’effacent leurs repères et leur jeunesse. Ils se sentent dépossédés. Quelques-uns rejettent en bloc les Arabes, les Noirs, les Turcs, les Pakistanais, les Chinois, et maintenant ceux de l’Est.

Accoudé au comptoir d’un bar PMU de Pantin, Lionel, la quarantaine, tempère : «Les Arabes sont comme nous. Alors que les Russes sont d’une violence inouïe. Ce n’est pas une question de couleur mais de moeurs.» À côté de lui, son copain déplore «les fêtes des Antillais tous les samedis». Mais très vite, tous deux reprennent leur Loto et leur tiercé, plaisantant avec les autres habitués, pour la plupart de vieux travailleurs maghrébins. Un climat bon enfant où l’alcool et le jeu servent de ciment.

Moins on se fréquente, plus on se méfie. Les parents, obligés de vivre dans une zone à forte densité immigrée, sont particulièrement inquiets. «Mon fils multiplie les provocations en classe pour faire oublier ses bons résultats. Sinon, ses camarades l’embêtent», s’émeut une mère de famille. «La réussite d’un blanc les insupporte. D’autant qu’elle souligne leur propre échec.»

Frédéric Fauron, un entrepreneur de Neuilly-Plaisance, n’est pas aussi catégorique : «On montre du doigt les meneurs, souvent d’origine étrangère, comme si nos Gaulois étaient des anges. Beaucoup profitent du bazar pour vivre leur révolte d’adolescents.» Pour lui, la génération black/blanc/beur existe bien, forgée par une communauté de destin. Les jeunes Blancs des quartiers ont poussé avec les Beurs et les Noirs, les ont côtoyés sur les bancs de l’école, parlent le même langage «banlieue» et partagent bien souvent la même précarité économique. Pour autant, ce père de deux lycéens scolarisés dans le public ne nie pas la domination exercée par les caïds sur les «filles blanches» qui croient trouver une «protection» en paradant à leurs bras.

Les «Gaulois», qu’on appelle aussi ici les «Céfrancs», les «Pascals» ou encore les «Toubabs», doivent donner plus de gages que les autres pour intégrer une bande. Un aïeul venu d’ailleurs, une goutte de sang chaud sont bien vus. Cédric, issu d’un couple mixte, se fait appeler Driss par ses copains et voudrait récupérer le patronyme arabe de sa mère. L’«exotisme» fascine les petits Blancs, qui ironisent : «Mieux vaut être du tiers-monde que du quart-monde.» (source) (via alain)

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