Nous avons récemment évoqué cette question.
Désormais, c’est Le Quotidien du Peuple, organe officiel du Parti communiste chinois, qui s’en inquiète.
Lorsque la Chine a annoncé son plan massif de relance économique, cette série de mesures était surtout orientée pour mettre l’économie sur une trajectoire de croissance à long terme, et non pas pour attiser un nouveau boom immobilier.
Mais les craintes augmentent, concernant le fait que le plan de relance de 4 trillions de yuans (586 milliards de dollars) a été siphonné afin de gonfler la bulle immobilière qui risque d’éclater bientôt.
Pour de nombreux acheteurs potentiels, les prix des logements étaient déjà trop élevés quand les mesures ont été lancées en novembre de l’année dernière.
Pourtant, l’écart entre les salaires et les prix immobiliers pourrait se creuser davantage, si les sommes qui sont actuellement dépensées lors des enchères des terrains sont un indicateur.
Partout dans le pays, les compagnies achetant des parcelles de terre, surnommées di wang (地王), ou « les rois de la terre», empochent des sommes sans précédent lors d’enchères frénétiques.
Ce qui a cependant surpris de nombreux analystes expérimentés dans ce domaine, c’est que la plupart des appels d’offres soit effectuée par des entreprises publiques (entreprises d’Etat), qui ont facilement l’accès à des moyens de financement grâce au plan de relance.
Sur les 10 principales acquisitions de terre les plus chères dans les grandes villes de Chine cette année, 6 ont été faites par des entreprises publiques.
Le mois dernier, Poly Real Estate Group Co Ltd, un important promoteur immobilier chinois et une filiale du conglomérat d’Etat Poly Group, a payé 1,79 milliards de yuans – près de 7.000 yuans par mètre carré – pour une parcelle de terre à Nanjing, la capitale de la province du Jiangsu, ce qui en a fait le morceau de terre le plus cher dans la ville pour le développement commercial.
China Overseas Land and Investment, une compagnie de développement immobilier cotée à la bourse de Hong-Kong et une filiale de la compagnie publique China State Construction Engineering Corp, ont acheté des terres en septembre dans le district de Putuo au centre de Shanghaï pour 7 milliards de yuans, ce qui fait plus de 22 000 yuans par mètre carré. Une partie de cette parcelle n’a pas attiré de soumissionnaires lorsqu’elle a été mise en vente pour 1,6 milliards de yuans en juillet de l’année dernière.
Les transactions provoquent la consternation parmi les fonctionnaires du gouvernement chinois, dont Li Rongrong, le président de la Commission de l’administration et de la supervision des fonds publics, qui a déclaré récemment que les entreprises publiques devraient se concentrer plus sur leurs activités principales.
Toutefois, malgré les inquiétudes concernant les moyens investis dans la relance économique, la situation a mis les patrons des entreprises publiques face à un dilemme, car les rendements rapides de la propriété permettent aux entreprises d’atteindre les objectifs de performance fixés par le gouvernement.
“En raison de la vitesse à laquelle la propriété immobilière peut être développée en Chine, les entreprises publiques peuvent obtenir un retour de la promotion immobilière en une seule année. Les retours des investissements des projets de recherche et de développement ou d’un nouveau procédé de fabrication sont beaucoup plus lents”, a déclaré Bing Zhang du cabinet de consultation en gestion AT Kearney, basé à Shanghaï.
Cependant, Pan Shiyi, le président de Soho, un promoteur immobilier privé, a déclaré que le comportement de certaines entreprises publiques lors des enchères défie toute logique.
L’un des concurrents de son entreprise, Franshion Properties, une filiale de la compagnie Sinochem, qui appartient entièrement à l’Etat, a brillamment remporté l’offre pour les terres à Beijing pour 4,06 milliards de yuans en juin.
“C’était beaucoup plus que ce que proposaient les autres soumissionnaires”, a déclaré Pan. “La plupart des entreprises publiques ont un accès facile aux prêts bancaires, et beaucoup d’entre elles se tournent vers l’immobilier car elles sont réticentes à investir dans le secteur manufacturier, le problème de sur-approvisionnement existant toujours après la récession.”
Beaucoup de personnes opérant dans le secteur de l’immobilier sont inquiètes que les entreprises publiques aient eu la plus grande part du fonds de relance économique de 4 trillions de yuans.
Si c’est le cas, cela met les entreprises privées dans une situation désavantageuse, selon Ren Zhiqiang, le président de Huayuan Property Co Ltd à Beijing, qui ajoute: “Les entreprises d’Etat ont un avantage dans la collecte de fonds et le coût de leur collecte de fonds peut être beaucoup plus faible que celle des sociétés privées”.
La question est de savoir quel sera l’impact de l’inflation des prix de la terre sur la propriété à long terme.
Le coût moyen d’une propriété résidentielle dans les 70 plus grandes villes de Chine a déjà augmenté de 2,8% au cours des 12 mois par rapport à septembre dernier, montrent les chiffres qui ont été publiés par le Bureau national des statistiques.
James MacDonald, directeur de recherche chez les agents immobiliers Savills à Shanghaï a annoncé que ces statistiques pourraient même sous-estimer la situation réelle. “Dans certains cas, on peut espérer des prix 10 à 30% supérieurs à ceux du deuxième trimestre de l’année dernière”, a-t-il dit.
Il a expliqué que ceux qui paient des prix élevés pour les terres auront pour objectif de rembourser leurs dépenses d’origine lorsque le développement sera terminé, ce qui signifiera de nouvelles hausses des prix à l’avenir.
“Pour que les entreprises réalisent des bénéfices, ils ont besoin de vendre la propriété pour une valeur supérieure au coût du terrain, la construction, le travail et l’administration. Cela signifie que les acheteurs fonciers spéculent sur une nouvelle augmentation des prix de l’immobilier”, a-t-il ajouté.
Mais beaucoup craignent que ce modèle ne soit pas durable, dont Zhang de AT Kearney, qui considère que beaucoup de particuliers ont déjà atteint leur limite.
“Le salaire moyen d’un diplômé de l’université est 24 000 yuans par an, mais c’est le prix moyen de 1 m carré dans une ville chinoise. Il faudrait donc 80 ans pour un jeune diplômé pour acheter un appartement de taille moyenne”, a-t-il dit.
Une chose va inévitablement arriver avec cette bulle : elle va bientôt éclater, a-t-il ajouté. “Je ne dis pas si cela va se passer l’année prochaine car il est très difficile de prédire un temps précis quand cela va arriver. Mais cela pourrait certainement se produire d’ici 3 ou 5 ans. Lorsque cela se produira, il y aura des répercussions graves sur l’économie, parce que beaucoup d’industries dépendent directement du marché immobilier.”
Il serait difficile de distancier les entreprises publiques chinoises du marché immobilier. Sur les 130 entreprises énumérées par la Commission des actifs d’Etat, 80 sont impliquées dans l’immobilier et pas moins de 16 sont des sociétés de promotion immobilière.
Wang Yulin, le chercheur principal du ministère du Logement et du Développement rural et urbain, a dit qu’il serait erroné d’exclure des sociétés appartenant à l’Etat des investissements dans le secteur immobilier, et il a rejeté les suggestions en faveur de la liberté, pour les entreprises d’Etat, de devenir des spéculateurs fonciers.
“Les grandes entreprises publiques sont surveillées de près en termes de dépenses et elles ne vont pas dépenser de l’argent volontairement. Quelle que soit la propriété d’une entreprise, elle a le droit d’entrer dans n’importe quel secteur et y faire des affaires”, a-t-il dit.
Les entreprises d’Etat n’ont guère d’autre choix que d’investir dans l’immobilier, a ajouté Larry Lang, professeur de finance à l’Université chinoise de Hong-Kong, selon lequel les sociétés ont été les principaux bénéficiaires des fonds du plan de relance économique, mais ne disposaient pas d’autres projets d’investissement intéressant. “Ils ont choisi d’utiliser cet argent pour acheter des actions et des terres”, a-t-il dit.
On ignore précisément combien d’argent du plan de relance a été dépensé pour l’acquisition des terres parmi les entreprises d’Etat. Dong Xia Nan, le chef analyste en macroéconomie pour une compagnie de courtage Industrial Securities, affirme: “C’est quelque chose qui est difficile à vérifier.”
Toutefois, de nombreux analystes craignent une répétition du scénario qui s’est produit au Japon dans les années 1990 : le pays a connu une «décennie noire» après avoir vécu une longue période de récession liée à la chute brutale des prix des logements.
“Si la bulle immobilière éclate en Chine, cela affecterait un grand nombre d’industries dépendant du secteur de l’immobilier en plein essor. Les consommateurs ne vont pas acheter les meubles et d’autres produits de consommation”, a déclaré Zhang. “Et cela ne rendra pas nécessairement les logements plus abordables. Les consommateurs perdraient leurs emplois et les pauvres deviendraient encore plus pauvres. L’écart entre les riches et les pauvres va se creuser davantage car les riches pourront conserver leurs biens.”
James MacDonald de Savills a toutefois déclaré qu’il n’y a pas de raison de paniquer concernant l’effet immédiat des acquisitions récentes sur les prix des logements.
“Il faudra 2 ou 3 ans pour que ces terres soient transformées en des propriétés immobilières mises en vente. En ce moment, le marché de l’immobilier pourrait se comporter très différemment de la façon dont il le fait maintenant”, ajoute-t-il. “Les revenus moyens connaissent une croissance de 10% par an, et les prix pourront augmenter jusqu’à plus de 30% à ce moment là, le taux d’accessibilité économique restant le même.”
En attendant, les entreprises publiques ont été averties qu’elles pourraient regretter d’être nommées «les rois de la terre » avec le rush immobilier qu’elles ont entamé, les analystes prédisant qu’elles seront obligées de payer un jour pour leurs excès dans les investissements immobiliers.
“Ces entreprises vont regretter de payer le prix fort et l’histoire va prouver qu’elles n’agissent pas d’une façon rationnelle”, a déclaré Ronnie C. Chan, président de Hang Lung Properties Ltd, une compagnie cotée à Hong-Kong.