Incapables de nourrir leurs larges populations avec leur seule production domestique, certains pays se lancent dans de vastes opérations d’achat de terres cultivables à l’étranger.
Cliquez sur l’image pour l’agrandir
Depuis 2007 et la forte hausse des matières premières agricoles, qui a provoqué les émeutes de la faim, l’acquisition des terres cultivables est devenue la priorité numéro un de nombreux pays du globe, pour assurer leur autosuffisance alimentaire.
Au premier rang d’entre eux, la Chine. «Avec 10 % de surfaces agricoles exploitables, la Chine doit nourrir 22 % de la population mondiale», explique un consultant agricole, Axel de Martene.
Les Chinois se sont donc lancés à la conquête de bons terrains. Résultat, une quarantaine de sociétés agricoles chinoises sont implantées dans 30 nations sur les cinq continents. Depuis 2007, les autorités de Pékin ont déboursé 1,5 milliard d’euros pour acquérir des terres. Ces fermes produisent surtout les denrées qui manquent en Chine : riz, soja, maïs… Près de 400 km² de terres kazakhes ont ainsi été cédées récemment à Pékin.
À première vue, ce système paraît profitable aux nations – souvent pauvres – bénéficiant de ces investissements. Mais cette démarche a ses limites. «La Chine arrive avec sa propre main-d’œuvre, ses semences et tient peu compte du contexte local de biodiversité», remarque l’ONG espagnole Grain.
Les voisins de la Chine se lancent également dans ces opérations de rachat de terres à grande échelle : la Corée du Sud a ainsi acquis des terres en Argentine pour se fournir en viande. Le Japon s’est intéressé à l’Égypte pour son huile végétale et son sucre, l’Inde à la Malaisie pour l’huile de palme. Sans oublier la Russie et les pays du Golfe comme l’Arabie Saoudite, le Qatar et le Koweït qui participent aussi à ce grand Monopoly.
Évidemment, tous ces mouvements ne font pas l’unanimité. Ainsi, l’opinion publique malgache n’a pas supporté qu’à l’automne 2008 son président Ravalomanana ait donné son accord pour vendre 1,3 million d’hectares à un prix dérisoire au coréen Daewoo. Le président a donc été renversé par des émeutes et son successeur a annulé la transaction.
N’empêche, selon l’International Land Coalition qui regroupe les ONG et les agences intergouvernementales, 30 millions d’hectares auraient déjà fait l’objet de négociations au premier semestre 2009, soit un peu plus que la surface exploitée en France (27,5 millions d’hectares). Un mouvement qui s’accélère : en 2008, 10 millions d’hectares avaient changé de mains.
Et les Européens, notamment les Français, ne sont pas épargnés par cette frénésie d’emplettes. Pas étonnant car, très tôt, ils ont compris les enjeux liés aux terres arables. En 1957, la mise en place d’une PAC (politique agricole commune) était une façon de mutualiser les ressources et d’éviter les pénuries alimentaires.
Une période révolue depuis longtemps. Aujourd’hui, l’Europe agricole est excédentaire et exporte beaucoup de ses produits. Il ne faudrait pas l’oublier en 2013, à l’heure où la PAC sera renégociée. Surtout dans la perspective d’une croissance d’un tiers de la population mondiale d’ici à 2050.
Pour la première fois, la malnutrition frappe plus d’un milliard de personnes sur Terre. Le sujet central d’une réunion de la FAO qui débute lundi à Rome.
Pour la cinquième fois en treize ans, les leaders de la planète sont conviés, de lundi à mercredi, à un sommet sur les moyens d’éliminer la faim. La réunion se déroule à Rome au siège de la FAO (l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture).
Les enjeux sont de taille : comment faire pour nourrir une population mondiale qui augmentera d’un tiers d’ici à 2050 pour atteindre 9,1 milliards d’êtres humains, alors que la malnutrition bat des records et frappe désormais plus d’un milliard de personnes ? Faut-il instituer des règles pour empêcher les pays riches de faire une razzia sur les bonnes terres dans les pays pauvres ?
Les précédents sommets sur le sujet ont tous failli à leurs objectifs.
Faute d’investissements suffisants dans l’agriculture (à peine 7 milliards de dollars par an alors qu’il en faudrait 44 milliards, selon la FAO) et du fait de la flambée des cours des denrées alimentaires en 2008 et en cette fin 2009, jamais la dénutrition n’a été autant répandue.
Cela au moment où le Programme alimentaire mondial (PAM), l’agence de l’ONU qui distribue des vivres et des secours à 102 millions d’êtres humains, traverse une grave crise financière. Sur un budget prévisionnel de 6,7 milliards de dollars pour 2009, trois milliards n’ont pas été versés par les pays donateurs, le contraignant à réduire drastiquement ses rations alimentaires.
Une cinquantaine de chefs d’État participeront à ces débats. Pour la plupart des leaders des pays du Sud, car les pays du Nord n’attendent pas grand-chose de ce nouvel exercice oratoire. La France sera représentée par son ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire. L’Arabie Saoudite finance ce sommet dont le coût est évalué à 2,5 millions de dollars.
Pour résorber la faim, la planète devrait produire, selon la FAO, 70 % d’aliments en plus d’ici à 2050. Les experts s’accordent à penser que cela est possible, à condition de mettre l’agriculture et la lutte contre la malnutrition au centre des priorités.
Or, on en est encore très loin. Par exemple, en juin 2004, les pays africains étaient convenus dans une déclaration rédigée à Maputo, au Mozambique, de consacrer à ces actions 10 % de leur budget. Seulement cinq d’entre eux le font. Au Malawi comme au Brésil, la malnutrition infantile a régressé. En revanche l’Inde, malgré sa révolution verte, compte 30 millions d’affamés en plus. Le Pakistan, l’Éthiopie, le Congo, la Sierra Leone, le Guatemala s’enfoncent dans la crise. Au total, trente et un pays éprouvent de grandes difficultés, surtout dans la Corne de l’Afrique.
Du coup, l’idée d’un «partenariat mondial» lancée par Nicolas Sarkozy lors du précédent sommet, en juin 2008, fait son chemin. En plaçant la sécurité alimentaire en tête de ses priorités, l’Administration Obama soutient cette nouvelle approche. En clair, priorité est donnée à l’aide aux petits paysans des zones rurales pauvres, environ deux milliards d’êtres humains.
Le sommet de Rome consacrera l’institutionnalisation d’un «comité de la sécurité alimentaire» et la création d’un réseau d’experts de haut niveau chargé d’élaborer de nouvelles stratégies. Il devra aussi concrétiser l’aide de 20 milliards de dollars en faveur de l’Afrique annoncée en juillet lors du G-8 de L’Aquila, en Italie.
Il n’est plus question de diminuer le nombre d’affamés de moitié en 2015, comme le sommet de l’alimentation l’avait affirmé en 1996. Même l’appel à «éradiquer substantiellement» la faim d’ici à 2025 a été abandonné. Ces objectifs sont jugés irréalistes, faute de moyens.
L’approche se veut plus pragmatique. Reste à voir si elle fonctionnera.