Ou comment le Beaujolais nouveau a inondé le monde. Étiquettes bariolées, goût adapté au consommateur, bouchon en plastique… En bousculant la tradition, les producteurs français ont fait d’un modeste vin primeur une marque mondiale qui rivalise avec le champagne.
Lancé chaque troisième jeudi de novembre dans le monde entier, ce vin primeur s’est évertué, cette année, à faire face à la crise en misant notamment sur le Japon, premier pays importateur du fameux cru. En 2008, le chiffre d’affaires de la commercialisation du beaujolais nouveau a atteint 43 millions d’euros.
Le succès du beaujolais nouveau ? Avoir su offrir le même jour, à la même heure, le même produit dans le monde entier. Cette formule marketing parfaitement efficace a transformé ce « vin de soif » en événement mondial. Cette année, le beaujolais nouveau a débarqué le jeudi 15 novembre par camions entiers, ainsi que par trains, avions et bateaux dans les magasins, les bistrots, les restaurants de Bangkok, Londres, New York ou Tokyo.
Une vraie saga commerciale qui dure depuis cinquante ans. Avec des chiffres qui impressionnent : 60 millions de bouteilles ont été commercialisées en 2000, dont 25 millions exportés dans 150 pays. Et une notoriété immense. A l’étranger, les consommateurs connaissent deux vins français : le champagne et… le beaujolais nouveau. De quoi donner à réfléchir aux viticulteurs de France et de Navarre, qui commencent à prendre conscience que, à l’export, la logique de marque a tendance à prévaloir, comme le démontrent, mois après mois, les Australiens, les Californiens, les Néo-Zélandais et autres Sud-Africains, avec leurs bouteilles ne mentionnant ni terroir ni millésime. En ces temps de concurrence exacerbée avec les vins du Nouveau Monde, le beaujolais nouveau, avec sa percée sur le marché international, fait de plus en plus figure de modèle. Il joue en tout cas un rôle de locomotive pour l’ensemble des appellations d’origine contrôlée. Et montre aux professionnels de la filière tout l’intérêt qu’il y a à renouveler l’imagerie vieillotte associée au vin français. Une leçon à retenir à l’heure où nombre de viticulteurs français songent à se « déringardiser. »
Oublié les particularismes chers aux défenseurs du terroir, le beaujolais nouveau se conjugue au singulier. C’est une de ses grandes forces. Tout se passe comme s’il s’agissait d’une marque ombrelle réunissant sous un seul nom l’ensemble des cuvées. Grâce à l’existence de cette marque, le produit a pu évoluer plus rapidement que d’autres vins. Avec ce vin primeur, qui n’a pas à être conservé à l’abri de la lumière – comme c’est le cas des vins de garde -, une bouteille en verre blanc transparent s’est imposée pour certaines cuvées. Dans les années 90, BSN, le géant de l’emballage en verre a même remis à l’honneur le « pot Beaujolais », qui date de 1840.
Autre travail mené en profondeur : le design des étiquettes. Ces dernières changent chaque année. Et chaque maison y travaille activement. Georges Duboeuf s’est distingué avec ses motifs floraux, Jean Tête, des vins Louis Tête, a choisi d’y faire figurer des oiseaux. Pour chaque cuvée, la maison Mommessin, deuxième négociant du Beaujolais, confie à un artiste le soin de réaliser son étiquette. Cette année, c’est un peintre brésilien vivant à Miami. Et les Américains apprécient déjà énormément l’étiquette. Les Japonais moins, semble-t-il. Peu importe, pour l’étiquette 2002, l’artiste choisie est une illustratrice… nippone.
Innovations dans le flaconnage, l’étiquetage, mais aussi le conditionnement. Avec le recours à un bouchon de plastique. Et tant pis si ça fait hurler les puristes. Chez Mommessin, 80 % des bouteilles de beaujolais nouveau se présentent ainsi. « On a pris le contre-pied des vins français, de l’arrogance des Français vis-à-vis de leurs vins. Les vins français se placent sur un piédestal. Nous, on est un vignoble sans bla-bla, qui essaie de se rendre accessible , » explique Michel Déflache, directeur de l’Inter Baujolais. Le beaujolais nouveau se présente donc sans chichis. Dans la maison Mommessin, le PDG, Philippe Bardet, affirme : « On ne peut pas dire que le beaujolais nouveau soit un simple produit gastronomique. Le consommateur achète aussi une atmosphère, un moment de divertissement français. »
C’est autant l’occasion de parler vin que d’être convivial. Pour les vignerons, c’est le moment de mettre à la portée de tous un terroir : 22 000 hectares qui font le tour de la planète, grâce notamment à des ambassadeurs de renom. Georges Duboeuf, le négociant le plus connu du Beaujolais, ami des plus grands chefs, tels Paul Bocuse ou Pierre Troisgros, a dès les années 70 pris pied aux États-Unis puis au Japon. Un travail mené par les négociants et relayé par l’interprofession : depuis quatre ans, l’Inter Beaujolais choisit un pays cible. L’an dernier, la Corée était à l’honneur. Cette année, ce sera la Thaïlande.
Si le beaujolais nouveau a réussi à pénétrer sur ces marchés difficiles, c’est grâce à sa fantastique capacité d’adaptation. Léger, fruité, peu tannique, ce vin se marie facilement à toutes les cuisines. Et convient à tous les palais ou presque. Evénement mondial, le beaujolais nouveau a su se décliner localement. Patrick Vivier, oenologue de la maison Mommessin, est attentif aux différences de goût de ses clients : « Les Nordiques préfèrent les vins plus structurés. Pour le Japon, on va plutôt prendre du style anglais. Le style japonais, c’est du style parisien en un peu plus corsé. » De dosages en assemblages, le beaujolais nouveau s’impose : unique et néanmoins toujours différent. Un peu comme le Nescafé, dont Nestlé assure que c’est un produit vendu partout dans le monde, mais avec 140 goûts différents.
Compte à rebours sur écrans géants à Tokyo, défilé de chefs cuisiniers à moto à New York, livraison prévue par hélicoptère dans un hôtel de Las Vegas: tout a été imaginé cette année par des professionnels qui craignent que le Beaujolais nouveau, en vente jeudi, ne fasse les frais de la crise sur un marché du vin en repli.
Car si certains espèrent que le contexte économique difficile bénéficie aux vins d’entrée ou de milieu de gamme comme le Beaujolais nouveau, dont les prix vont d’une poignée d’euros en France à 3.000 yens (25 euros) au Japon, ce vin primeur emblématique a déjà vu ses exportations baisser de plus de 20% en volume en 2007, avec un peu plus de 17 millions de bouteilles exportées, selon la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS).
Cette année, le mouvement devrait se poursuivre car “les deux principaux débouchés que sont les États-Unis et le Japon sont moins enclins à faire la fête autour du Beaujolais nouveau“, explique Renaud Gaillard, de la FEVS. Pour endiguer la baisse, l’organisme chargé de promouvoir ce vin du centre-est de la France, Inter Beaujolais, consacre plus d’un million et demi d’euros à des budgets publicitaires, dont un tiers pour le Japon, qui en est le premier importateur.
Et des affiches signées de l’artiste français Ben annonceront l’arrivée du primeur dans le métro de la capitale japonaise, ainsi qu’à Osaka.
A New York, 15 chefs ont constitué une escorte motorisée, la “Beaujolais Biker Brigade,” “qui accompagnera l’arrivée du Beaujolais nouveau dans le très célèbre restaurant de David Bouley, dans Lower Manhattan“, annonce Inter Beaujolais. “Le Beaujolais nouveau, c’est un prétexte à la fête!“, d’autant plus nécessaire en cette période de crise, dit Franck Duboeuf, de la maison Georges Duboeuf, le plus grand négociant de Beaujolais à l’export. Lui-même sera à New York jeudi pour l’événement.
“Le Beaujolais nouveau n’est pas un grand vin. Mais il est flatteur, c’est un vin de fête,” souligne Alain Albert, oenologue lyonnais. Il met cependant en garde contre un phénomène d’usure de la résonance médiatique autour d’un “vin auquel on demande plus qu’il ne peut donner.”
Le Pôle emploi de Villefranche-sur-Saône et l’Union Viticole du Beaujolais ont organisé un forum viticulture le 28 juillet. Le but : recruter 10 000 personnes qui mettront la main au cep à partir du 25 août. Éprouvantes mais bien payées, 8 heures de travail dans le vignoble rapportent près de 69 euros, soit près de 690 euros pour 10 jours.
Et pour terminer, le millésime 2009 a un nez de framboise, de mûre, de pêche de vigne et de violette. La robe est d’une couleur «profonde» avec «une robe myrtille». L’autre caractéristique du Beaujolais Nouveau 2009 tient dans son faible volume, estimé à environ 800.000 à 850.000 hectolitres. . Et d’après certains ce millésime donnera naissance à des vins de garde. « Dans 15 ans, nous aurons encore du plaisir à boire du 2009 .» L’Expansion et France24
(Merci à Gilles Bates pour cet article)