Fdesouche

Avec une économie en berne et une recrudescence des tensions raciales, Chauny, petite commune de l’Aisne de 13 000 habitants située à une trentaine de kilomètres de Saint-Quentin, la ville de Xavier Bertrand, ressemble trait pour trait à beaucoup d’autres communes françaises. Chauny n’est pas une commune pire que les autres. Elle est tout simplement le reflet d’une France en crise en cette fin d’année 2009.

Un membre des forces de l’ordre confie que, selon lui, « avant la fin d’année, Chauny passera sur une chaîne de télé nationale avec un mort. »

La crise explique certaines choses. Et dans ce petit concentré de France qu’est Chauny, les premières conséquences vraiment visibles de la crise commencent tout juste à faire leur apparition. L’entreprise Nexans, « la Thomson » comme l’appellent certains anciens, une institution à Chauny depuis 1922, est en passe de fermer ses portes, laissant sur le carreau 220 employés et presque autant de familles…

Avant la crise, ici, le FN était au point mort mais se portait déjà très bien dans les urnes : 17,43% pour Jean-Marie Le Pen à la présidentielle de 2007, soit 2 points de plus que sur l’ensemble de la région picarde, 7 points de plus qu’au niveau national. Maintenant, il y a la crise, il y a Nexans et les autres entreprises qui peut-être suivront.

Depuis des lustres aussi, Nexans, ici, c’est plus qu’une usine, c’est une institution. Depuis 1922, de génération en génération, alors que l’entreprise changeait de nom au gré des propriétaires (Thomson, Alcatel puis Nexans…), les habitants de Chauny et des environs se sont fièrement succédé derrière ses machines.

Une fierté à la hauteur du choc ressenti à l’annonce de la fermeture de l’usine. Ils n’ont rien vu venir et ont du mal, encore aujourd’hui, à accepter la décision de la direction du groupe : « Si encore, c’était une boîte qui allait mal, on l’admettrait. Mais là, c’est dégueulasse, honteux et révoltant. Ils se foutent de l’humain. »

Le site de 12 hectares ne trouvera pas repreneur. Les Nexans demandent aujourd’hui 120 000 euros d’indemnités de préjudice. « Excessif ? Non, ce n’est pas excessif, affirme Carole Dahler, Ce qui est excessif, c’est de licencier 220 employés du jour au lendemain. Il faudrait qu’on ne dise rien ? Il faudrait qu’on fasse comme si l’on vivait au pays d’Amélie Poulain, le pays où tout va bien ? Et qu’on dise au revoir à notre industrie ? Qu’on se mette à faire dans le tourisme ? Qu’on fasse visiter nos usines comme d’autres font aujourd’hui visiter les mines ? »

Les Nexans de Chauny ont en leur possession un véritable trésor de guerre qu’ils comptent bien mettre dans la balance des négociations. Des tonnes de fils de cuivre consciencieusement entreposés sur le site, mais aussi des machines. L’usine est couverte de graffitis : des « euros ou ça brûle ! » Une énorme bombe a même été dessinée sur le bâtiment qui fait face à l’entrée. Christophe Stevens le reconnaît d’ailleurs sans détour : jusqu’à présent, il n’y a pas eu de « débordements, » mais d’ici quelques jours, quand les gars ne toucheront plus leur paye…

Les conséquences de la fermeture de Nexans sur l’économie locale ne doivent pas être sous-estimées. Loin de là. Pour se faire une idée, quand il existait encore une taxe professionnelle, celle que versait Nexans s’élevait à 2,2 millions d’euros, soit un tiers de la somme collectée auprès des entreprises chaunoises et près de 20% de la somme totale dont pouvait jouir la communauté de communes à laquelle appartient la ville.

Quoi qu’il en soit, cette fermeture intervient alors que le tissu économique et social ne se porte pas au mieux. Avec la crise, les commerçants « tirent la langue. Moins 20% » annoncent certains restaurateurs. Les ventes immobilières connaissent quelques frémissements mais « avec des prix réévalués à la baisse, » confie un agent du secteur. EDF et France Télécom se sont fait la malle. Beaucoup craignent pour l’avenir de Rohm and Hass, l’autre grosse usine chaunoise. Et les services publics peu à peu désertent les lieux : la DDE qui disposait d’un entrepôt et de bureaux est partie, le tribunal d’instance fait ses cartons, et régulièrement le déplacement de son hôpital — le plus gros employeur de la commune — est évoqué.

Tensions communautaires

Hamza est collégien. Il fait les cent pas devant le lycée Gay-Lussac, en centre-ville de Chauny, et rien ne semble pouvoir le calmer. Ses vrais potes sont là aussi. Une quinzaine d’ados âgés de 15 à 18 ans, tous ou presque d’origine maghrébine. Comme à chaque fin de journée, ils tiennent le muret à droite de l’entrée de l’établissement scolaire. Depuis des mois, ils s’opposent à un groupe de jeunes qui se disent « nationalistes. »

Neuf gendarmes font aussi le pied de grue devant devant le lycée. Sans compter les véhicules bleu nuit qui passent régulièrement et au ralenti devant les grilles. Objectif : éviter que ça ne dégénère entre les deux groupes et les escorter jusqu’à la place Bouzier, la gare routière aménagée à quelques centaines de mètres de là, de l’autre côté de la ville. Neuf gendarmes ? Le dispositif est plus léger qu’au début du mois de novembre. Jusqu’à quarante représentants des forces de l’ordre ont parfois été mobilisés pour éviter les affrontements. Sans que ça ne soit toujours suffisant : fin novembre, les passages devant le tribunal de Laon se sont multipliés. Un frère et sa sœur, adhérents du FNJ, ont été reconnus coupables de faits de violence. Ils ont chacun écopé de 100 heures de Travail d’intérêt général à accomplir sous 18 mois, le tout assorti d’une somme de 200 euros à verser à leur victime. Dans une autre procédure, les mêmes — c’est dire si tout ça est simple — se sont retrouvés estampillés victimes. Leurs agresseurs se revendiquant « anti-racistes » ont tous trois été condamnés à du TIG. L’un deux a même hérité de trois mois de prison avec sursis…

Depuis ce dernier passage devant la justice, tout le monde répète à l’envi que « tout est rentré dans l’ordre, » que « la situation est apaisée. » Comme pour s’en convaincre. Sauf que la tension reste palpable et que, dans les deux camps, aucun jeune ne semble vouloir passer l’éponge et encore moins la jeter. Sacha, 16 ans, est de ceux-là.

Pendant qu’un de ses amis joue la provoc devant Gay-Lussac en beuglant « La France ne veut pas de nous, on la baise » agrémenté d’un « Liberté, égalité, eau, gaz et électricité, » il explique calmement qu’aucun d’eux ne comptent « se laisser faire et s’écraser » : « Et puis quoi encore ? Ils disent que ce n’est pas notre pays. Mais on est français. Qui s’est battu pour la France pendant la Seconde guerre mondiale ? Les Arabes. »

Dans le camp d’en face, non plus, on ne semble pas prêt à remiser aux oubliettes les événements passés : « On est obligé de rester en groupe. Ils viennent à quinze ou vingt et s’en prennent aux filles, », explique Romain, élève en terminale ES à Gay-Lussac. « On défend simplement ce qui aujourd’hui est apparemment devenu indéfendable ! Dans certaines écoles, le cochon est interdit ! Maintenant, ils construisent même des mosquées ! On est nationalistes. On a l’amour du drapeau, c’est tout. »

Tous les soirs, à Jean Macé ou à Gay-Lussac, les jeunes filles sont systématiquement insultées, provoquées, agressées par une racaille nombreuse, toujours les mêmes, stationnant aux portes des lycées après avoir zoné toute la journée en ville. Tous les soirs, il faut venir protéger ces filles et leur permettre de rentrer chez elles sans trop d’encombre. Ce sont leurs frères, leurs amis qui s’en chargent. Comment faire autrement lorsque les crapules sont aussi nombreuses et lorsque les autorités ont autant baissé les bras.

Un membre des forces de l’ordre confie que, selon lui, « avant la fin d’année, Chauny passe sur une chaîne de télé nationale avec un mort. » Lui a constaté l’apparition des premiers tags racistes en ville et à ses abords il y a « près de trois ans, en même temps, dit-il, que l’immigration a commencé à se faire plus visible, que les femmes ont été plus nombreuses à porter le tchador. »

Marianne2 : Partie 1 , Partie 2 et Partie 3

Fdesouche sur les réseaux sociaux