Tokyo a annoncé le retour de la baisse générale des prix, disparue depuis trois ans. Une spirale infernale à laquelle l’Archipel ne trouve pas d’issue.
En langage économique, cette épidémie qui frappe tarifs, étiquettes et… salaires a un nom: déflation. Le gouvernement vient officiellement d’annoncer que le Japon a renoué avec ce fléau qui paralyse depuis vingt ans son économie. «En 2007, l’inflation était repartie, poussée par les hausses de prix à l’étranger, avant de retomber aussi vite. La déflation est tellement ancrée dans les moeurs, reprise comme une litanie par les médias, qu’il est difficile de l’enrayer,» estime Jérémie Capron, analyste de la banque CLSA. A l’exception des denrées alimentaires ou des biens pour l’éducation, peu de produits sont épargnés.
Cette spirale a deux causes. La première, structurelle, tient au vieillissement rapide de la population japonaise, qui déprime la demande. La seconde vient du gouvernement : en réponse à la crise de 2008, il a mis en place des incitations à l’achat d’électroménager, d’automobiles et d’électronique à faible consommation d’énergie.
Ces mesures «ont certes soutenu les achats dans ces secteurs, mais elles ont lésé tous les autres, comme les vêtements, les matières premières, les loisirs et la restauration. Les fournisseurs baissent les prix en raison de la faible demande, et les consommateurs privilégient désormais le low cost,» résume Yongsuk Han, chercheur à l’institut MUFG. L’extrême concentration urbaine aggrave le phénomène, selon son collègue Nobuyuki Saji : «Le Japon est un pays de mégalopoles. Or les grands centres urbains sont plus propices à la déflation, les concurrents y sont au coude-à-coude.»
Dans la déflation, il y a des gagnants : les consommateurs, bien sûr, mais aussi les épargnants – dont le bas de laine grossit. Il y a aussi ces distributeurs, comme Zara, qui profitent à plein de la désaffection pour les magasins de luxe. Le géant espagnol de l’habillement ouvre une boutique par mois au Japon.
Les perdants sont les salariés contribuables, menacés d’un tour de vis fiscal. Car la victime suprême de la déflation, c’est l’État. Pour la première fois l’an prochain, l’Archipel émettra plus d’obligations qu’il ne recevra de recettes pour financer son budget. Lesté d’une dette nette équivalente à son PIB, le pays est en train d’épuiser ses marges de manoeuvre. «Pour une population au vieillissement accéléré, dont le PIB nominal n’augmente plus, c’est préoccupant,» estime Patrice Conxicoeur, de HSBC. Impuissant, le gouvernement rejette la faute sur la Banque du Japon, l’accusant d’être incapable de stabiliser les prix, à cause de sa politique monétaire trop laxiste. L’une des plus accommodantes des économies développées, il est vrai.