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Les marchés de produits financiers dérivés représentent plus de 600 000 milliards de dollars de transactions annuelles, soit rien moins que dix fois le Pib (Produit intérieur brut) mondial ! Selon certaines estimations, le risque ultime que représentent ces marchés est compris entre 1 000 et 4 000 milliards de dollars. La plupart des «accidents» que la planète financière a connu depuis deux ans, à commencer par les «subprimes», ont, en effet, impliqué les marchés dérivés.

Or, les 9/10èmes des transactions sur produits dérivés sont opérées sur des marchés dits de «gré à gré». Contrairement aux Bourses, où l’ensemble des offres et des demandes de produits standardisés est centralisé, sur les marchés de «gré à gré» les échanges sont bilatéraux et portent sur des opérations généralement non standardisées.

Ces opérations ne permettent pas une vue d’ensemble précise des transactions et des risques. Elles réduisent de facto la liquidité potentielle des produits par une fragmentation extrême des transactions.

Plus grave encore, ces opérations bilatérales laissent entier le risque sur la contrepartie des transactions. Or celles-ci peuvent un jour s’appeler LTCM, Lehman Brothers ou AIG… avec les conséquences que l’on sait.

C’est pourquoi, depuis peu, les Gouvernements et les autorités financières préconisent un basculement progressif des modes de règlement ne privilégiant plus le «gré à gré» mais la compensation sur des marchés réglementés, ce qui a le mérite de supprimer le risque de contrepartie.

Très bien. Les risques sur de nouveaux AIG, Lehman ou Merrill Lynch… n’existeront plus pour les dérivés de crédit ainsi compensés. Mais là n’est pas pour nous l’essentiel.

L’essentiel découle du fait qu’il y aura, d’une part plusieurs chambres de compensation en concurrence et que, d’autre part, chacune d’elles n’aura ni la surface financière suffisante ni un actionnariat susceptible de la renflouer en cas de crise majeure.

Après avoir poussé à la démutualisation des Bourses, les avoir fragilisées par l’incitation à créer des plateformes de négociation ou même à traiter les ordres en interne, on va maintenant leur demander d’être le garant en dernier ressort des risques de l’essentiel des activités de marché (d’abord les dérivés de crédit puis ultérieurement et logiquement les dérivés de taux, de change, d’actions, de matières premières, d’énergies…).

Les chambres de compensation existantes sont tantôt contrôlées par un actionnaire majoritaire (Deutsche Borse, Nyse Euronext,…), tantôt détenues de façon très fragmentée par des consortiums associant des Bourses, de grandes banques, des fonds d’investissement et des courtiers, certains de ces investisseurs se retrouvant également actionnaires de Bourses et/ou de chambres concurrentes !

Ces deux formes d’actionnariat sont porteuses de risque systémique. En cas de choc majeur sur un ou plusieurs marchés, les chambres de compensation, généralement dotées de fonds propres relativement limités, n’auront plus d’actionnaires susceptibles de les soutenir, contrairement au temps où les Bourses étaient des structures de place, de type coopératif.

En temps ordinaire, les utilisateurs-actionnaires précités pèseront très fortement pour réduire les coûts qui leur seront facturés et feront jouer la concurrence entre les chambres pour obtenir des réductions de leurs dépôts de garantie, des appels de fonds et des garanties demandées.

Plus grave, en cas de crise, les utilisateurs continueront à faire des arbitrages et cela pourrait amener les chambres à ne pas pouvoir relever les appels de marge au niveau exigé par les très fortes turbulences rencontrées. Et, en cas de problème de liquidité pour un ou plusieurs des intervenants, voire même en cas de défaillance(s), faute d’avoir des actionnaires capables de faire leur devoir, ces chambres seront elles-mêmes en quasi faillite. Il faut se rappeler, en effet, qu’elles n’ont pas le privilège des banques centrales de pouvoir prendre des risques presque sans limite grâce à leur pouvoir de création monétaire.

Accepter que les chambres prennent des risques disproportionnées par rapport à leur surface financière ou leur permettre un refinancement quasi illimité auprès des banques centrales, serait une fuite en avant très risquée. On pourrait se retrouver dans un environnement institutionnel de même nature que celui qui a conduit aux dérives constatées, aux Etats-Unis, avec Fannie Mae et Freddy Mac que le Trésor américain a dû quasiment nationaliser pendant la crise de l’automne 2008.

Pour que la compensation des dérivés par des chambres de compensation sécurise vraiment les marchés financiers, ne faudrait-il pas imposer la création d’une structure de réassurance obligatoire – ou d’un «super fonds de garantie» – pour en faire un pare-feu capable de résister aux chocs violents ?

La Banque des Règlements Internationaux (BRI) vient de prouver qu’elle était consciente du problème. Des banques centrales travaillent sur la question. Pourvu que leur diagnostic soit entendu assez tôt et que les mesures d’accompagnement à la hauteur de ces nouveaux enjeux soient prises…

Slate

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