Bercy empruntera 188 milliards d’euros l’an prochain, un niveau jamais atteint. L’agence de notation Fitch invite Paris à mettre en place une politique budgétaire «crédible» sur plusieurs années.
Pour convaincre la commission Juppé-Rocard de limiter au maximum le montant du grand emprunt, les fonctionnaires de Bercy avaient joué sur la corde patriotique : pas question qu’en 2010 la France s’endette plus que l’Allemagne. L’argument a fait mouche. Paris empruntera l’an prochain 20 milliards d’euros de moins que Berlin. Maigre consolation alors que dans l’absolu la France émettra en 2010 pour 188 milliards d’euros de nouvelles obligations, soit 23 milliards de plus qu’en 2009. Un record : il y a dix ans, la France empruntait moitié moins…
La dette publique française atteignait 1 430 milliards au 30 juin 2009. Elle devrait donc dépasser allégrement la barre des 1 600 milliards l’année prochaine.
Lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2010, en septembre, le gouvernement tablait sur 175 milliards d’euros d’émission. La révision en hausse de ces projections s’explique par la décision prise dans l’intervalle par Nicolas Sarkozy de lancer un grand emprunt pour financer les dépenses d’avenir. L’État empruntera 22 milliards de plus.
D’un point de vue purement technique, cette hausse de l’endettement ne pose guère de souci au ministère de l’Économie. L’Agence France Trésor (AFT), qui gère la dette de l’État sur les marchés, estime l’appétit des investisseurs suffisamment élevé pour absorber le papier. L’AFT prévoit notamment cette année de créer une nouvelle OAT à long terme à quinze ans et, surtout, n’exclut pas de lancer un emprunt de maturité, quarante ou cinquante ans. «Les taux à très long terme sont nettement au-dessous de la moyenne historique, ce segment profite d’une forte demande de certaines catégories d’investisseurs, comme les fonds de pension et les assureurs,» souligne Philippe Mills, directeur général de l’AFT. «En 2009, notre taux d’emprunt à trente ans se situe près de 4,2 % alors que la moyenne depuis la création de l’euro était plutôt à 5 %.»
Une politique de marketing très active
Pour Laurence Boone, économiste chez Barclayus France, «le fait d’emprunter à très très long terme est assez habile, car cela met la dette en cohérence avec les dépenses d’avenir prévues par la commission Juppé-Rocard.» L’AFT compte aussi poursuivre la vente des emprunts français dans le monde entier, via une politique de marketing très active. Résultat, selon des statistiques arrêtées à fin septembre, le stock de la dette française est détenu à 67,3 % par des non-résidents. «La détention de nos emprunts est répartie en trois tiers : un tiers d’investisseurs français, un tiers de membres de la zone euro et un tiers pour le reste du monde,» résume l’AFT.
Deux risques pèsent sur ce scénario. Une remontée des taux d’intérêt, tout d’abord, qui pourrait se produire courant 2010 si la Banque centrale européenne décide de remonter ses taux directeurs. Une défiance des agences de notation, ensuite. Pour l’heure, la France reste notée AAA, c’est-à-dire la meilleure catégorie possible. Mais dans une étude publiée ce mardi, l’agence Fitch sonne déjà l’alerte : «L’Angleterre, l’Espagne et la France doivent mettre en œuvre une politique budgétaire crédible dans les prochaines années, étant donné le rythme de dégradation de leurs comptes et les défis auxquels ils devront faire face pour stabiliser leur endettement.» Si ces trois pays n’y parviennent pas, avertit l’agence, «la pression s’intensifiera fortement sur leur notation.» Une mise en garde on ne peut plus claire.