Éditorial du New York Times – 28 décembre 2009
Comment une banque d’affaire peut-elle s’enrichir facilement ? Voici la recette : créer un produit financier aussi risqué que fragile, mais suffisamment sophistiqué pour qu’il en devienne incompréhensible. Le vendre à des clients en affirmant que la note AAA (achetée auprès des agences de notation) est solide comme un roc. Prendre une assurance contre la faillite des clients et/ou de ces titres. (La magie financière de Wall Street permet d’assurer la valeur d’un bien que l’on ne possède pas). Attendre quelques mois, le temps que la déconfiture des titres entraîne celle des acheteurs crédules. Encaisser les bénéfices. Est-ce le scénario qu’aurait mis en œuvre Goldman Sachs et quelques autres ? C’est la question que se pose un nombre croissant d’observateurs avertis, dont le New York Times.
Pendant la bulle financière, Goldman Sachs ainsi que d’autres établissements du secteur ont créé des produits financiers sophistiqués, adossés à des créances hypothécaires, les ont vendus à leurs clients, puis ces firmes ont parié à la baisse sur ces investissements.
Ces pratiques, détaillées par Gretchen Morgenson et Louise Story dans un article publié par le Times, ont permis à Wall Street de s’enrichir grassement pendant que ses clients s’enfonçaient. Elles ont aussi amplifié la crise financière, en provoquant une diffusion des pertes quasi généralisée.
Ces opérations font désormais l’objet de plusieurs enquêtes menées par le gouvernement et par le privé. Il pourrait s’avérer que tout ou partie de ces produits et ces pratiques n’étaient pas illégales, en partie parce que les produits dérivés, qui étaient au cœur de ces transactions, ont été largement déréglementés depuis l’an 2000.
Ces faits sont scandaleux à plus d’un titre. Malgré les promesses de mettre un frein aux excès, les lois réformant la finance ne seront pas soumises au Parlement avant plusieurs mois. La Chambre a voté un texte qui imposerait des contrôles sur les produits dérivés, mais on ignore encore s’il mettra fin à cette pratique. Le Sénat n’a pas encore rédigé de projet de loi. Et ni la Maison Blanche ni le Capitole n’ont traité de façon adéquate la grande question de savoir comment enrayer les opérations de négoce à haut risque que les banques réalisent à leur compte, et qui ont créé des conflits d’intérêt avec leurs clients et mis en danger l’économie dans son ensemble.
Pendant ce temps, Wall Street continue de défendre des pratiques qui nous apparaissent comme étant de la spéculation financière de bas étage. Si l’on en croit les explications fournies par les génies de la finance, prendre un pari contre un de ses clients ne serait que l’une des nombreuses techniques permettant de se prémunir prudemment contre des pertes.
L’article du Times souligne que le volume inhabituellement élevé des paris à la baisse pris par Goldman et d’autres ne relevaient pas fondamentalement de positions défensives. Selon les experts du secteur interrogés, ces paris mettaient les intérêts des entreprises « manifestement en contradiction avec les intérêts de leurs clients. » Goldman explique que ses clients savaient que la banque pouvait parier contre eux. Mais est-ce une excuse pour prendre ces positions ? Quels étaient les objectifs de ces pratiques, à part se remplir les poches ?
Les données dont on dispose n’ont pas permis de répondre à une autre question : Goldman, ainsi que d’autres entreprises, ont-elles créé des titres qui étaient voués à l’échec, afin d’augmenter leurs chances que les paris à la baisse pris contre leurs clients seraient un investissement rentable ? Certains de ces titres étaient tellement fragiles qu’ils ont perdu de l’argent quelques mois seulement après avoir été émis.
Pour être exhaustives, les enquêtes sur ces questions et d’autres, devraient remonter jusqu’au ministère du Trésor de l’administration Obama. L’un des émetteurs les plus déterminés de ces investissements discutables était une entreprise nommée Tricadia, dont la société mère a été supervisée par Lewis Sachs, qui est aujourd’hui conseiller principal auprès du Secrétaire au Trésor Timothy Geithner.
Ces pratiques déplaisantes et dangereuses, telles que celles d’entreprises qui parient contre leurs clients, doivent faire l’objet d’investigations approfondies. Elles ne prendront pas fin avant que le Congrès n’adopte d’ambitieuses réformes financières.