Soheib Bencheikh est un théologien musulman d’origine algérienne, né en Arabie saoudite et ayant passé une partie de son enfance en Algérie. Il est souvent présenté comme un «progressiste». Invoquant Pétain, Vichy et l’affaire Dreyfus, il demande l’arrêt du débat sur l’identité française, qui d’après lui n’existe pas, et pourrait être le ferment d’un nouveau «populisme».
D’abord spectateur étonné devant un débat sur l’identité nationale dont je n’arrive pas à comprendre les motifs, puis très inquiet de la tournure des propos visant de plus en plus nommément la population musulmane de ce pays, je me suis senti contraint de rappeler des règles établies et de signaler des évidences qui ont cours depuis les Lumières.
Pour toute personne sensée, «communauté» et «identité» n’ont aucune existence réelle. Je n’ai jamais serré la main de la communauté musulmane et je ne l’ai jamais prise dans mes bras, je ne connais d’ailleurs pas son adresse ; et je n’ai jamais, non plus, rencontré une identité française, fixe, dont je puisse faire le tour. Je connais, par contre, l’influence d’une présence musulmane et je connais le rayonnement éblouissant de la culture française, faite d’ailleurs d’une multiplicité et d’une succession d’apports différents. (…)
Ma conviction était, naïvement, que ma spécificité cultuelle et culturelle soit un plus, un embellissement supplémentaire qui s’insère harmonieusement dans la Cité française. Car si je développe le sentiment d’être un corps greffé, je n’obtiendrai l’estime ni de moi-même ni de mon environnement. Il est surréaliste de devoir insister sur ces évidences, mais nous en sommes là.
La bêtise et l’ignorance de quelques jeunes Franco-Arabes provocateurs en mal d’appartenance ont été le prétexte tout trouvé pour chatouiller le monstre du populisme «anti-autre», endormi depuis Vichy ; la différence est que cet autre aujourd’hui est plus nombreux, plus diversifié, plus coloré et lié à un monde musulman en effervescence, ballotté entre la nostalgie de sa civilisation perdue et son désir de croquer à pleines dents la modernité.
De plus, l’autre d’aujourd’hui ne véhicule dans sa mémoire aucune séquelle, ni de l’anticléricalisme, ni de l’aberration collective de l’affaire Dreyfus et de ses conséquences meurtrières. Trop spontané dans son expression cultuelle et trop à l’aise dans sa diversité culturelle, son esprit n’est pas préparé à définir les limites de «l’humble discrétion».
Des élus de plus en plus nombreux veulent interdire aux Maghrébins spécifiquement, comme le précise le maire d’Orange, d’afficher les expressions festives spontanées de leur culture d’origine. A quand la législation sur les youyous, la réglementation du dosage du henné et la pénalisation de l’accent nord-africain qui fait confondre inesthétiquement le «an» et le «on» ? (…)
Entre la démocratie et le populisme, il y a un pas, celui qui soumet à l’appréciation de la majorité les principes qui protègent, avant toute expression démocratique, les libertés individuelles et les droits fondamentaux. La Suisse a franchi ce pas. L’Allemagne, les Pays-Bas et, curieusement, même la France, citadelle des droits, entachent l’inviolable et se laissent séduire par le chant des sirènes du populisme.
Monsieur Sarkozy, Messieurs les ténors de l’UMP, fermons s’il vous plaît la parenthèse de ce honteux débat et occupons-nous du prestige et de la place stratégique qui reviennent à la France au sein même du monde musulman.
Source : Marianne2