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L’année 2008 fut l’année de la crise financière, 2009 celle de la crise économique, 2010 sera-t-elle celle de la reprise ? Pour Jacques Marseille, économiste et historien, l’embellie de l’économie va se confirmer, mais la période qui s’ouvre marquera, aussi, la mise en place de transformations profondes de notre modèle illustré par la fin de la société de consommation et le basculement de la croissance mondiale vers l’Asie.

Doit-on croire à la reprise en 2010 ?
Il faut se garder de toute prévision trop hâtive. Mais l’évolution des cycles économiques depuis deux siècles laisse penser qu’après l’éclatement d’une bulle une crise financière, économique et sociale, l’on s’engage vers une reprise. La reprise financière est déjà en cours. Depuis mars 2009, les Bourses ont gagné plus de 50 %, du jamais-vu depuis 1933 ! La reprise économique va donc suivre. C’est le sens de l’histoire. Cette crise est in fine d’une singulière banalité. Selon les cycles repérés au milieu du XIXe siècle par l’économiste Clément Juglar, une crise arrive tous les sept à dix ans. La crise de 2008-2009 suivrait donc celles de 1973, de 1979-1980, de 1987, de 1993-1994 et de 2000-2001.

La vraie question est maintenant de savoir quelle sera la nature de notre reprise.

Risque-t-on, comme l’indiquait Dominique Strauss Kahn, directeur général du Fonds monétaire international (FMI), d’avoir une croissance sans emploi ?
Le lien entre la croissance du produit intérieur brut (PIB) et l’emploi n’est pas mécanique. On peut effectivement assister à une reprise pauvre en emploi. Et la France sera sans doute le pays le plus affecté par cela. Depuis trente ans, en période de crise comme en période d’expansion, notre économie crée moins d’emplois que celle des autres pays. La crise ne fait ici que révéler et accentuer des faiblesses structurelles.

Pensez-vous aussi que cette reprise n’est qu'”artificielle,” dopée par les interventions des États et des Banques centrales ?

Je pense au contraire que l’on surestime l’importance des injections de capitaux faites par les banques centrales et surtout par les États. Ces opérations ont simplement redonné confiance, ce qui n’est pas rien. C’est la garantie de l’État plus que l’argent injecté qui a eu un effet positif.
Il n’est donc pas nécessaire de maintenir des aides publiques aussi colossales en 2010 ?
Si on le faisait, on prendrait le risque de laisser se former une nouvelle bulle, à l’origine de la prochaine crise. Et ce d’autant plus que lorsqu’on mène une politique de relance, il faut savoir ce qu’on relance et pourquoi. La prime à la casse, en ce sens, est le meilleur exemple d’une mesure qui ne consiste qu’à mettre un sparadrap sur une plaie, sans pouvoir la guérir. Depuis des années, le secteur automobile est en déclin. Ce n’est pas une politique de relance qui va répondre à ses difficultés.
Ces politiques budgétaires expansionnistes font-elles peser un risque ?
Le risque majeur est que les finances des États s’assèchent, que leur endettement devienne intenable et que le marché perde confiance. On voit déjà apparaître des zones de risque dans les pays de l’euro, en Grèce, en Irlande, en Espagne, mais aussi en Italie, voire en France. La dette publique de la France, en y intégrant le déficit de la Sécurité sociale et des collectivités locales atteint maintenant 1 457,4 milliards d’euros ! Si les conséquences à court terme ne sont pas encore évidentes, à moyen terme les États risquent de n’avoir plus assez de marges de manoeuvre pour mener correctement une quelconque politique. Demain, la question ne sera pas de savoir si l’on fera 1,5 % ou 2 % de croissance du PIB mais de savoir comment financer les retraites et la santé de la génération du baby-boom. C’est ce qui rend assez dérisoire le grand emprunt français. Qu’est-ce que 35 milliards d’euros au regard des dizaines de milliards que la France emprunte chaque semaine pour refinancer ses dépenses courantes de fonctionnement ?
L’Europe s’apprête à vivre une reprise molle tandis qu’en Chine la croissance avoisinera 10 %. Ce pays sera-t-il le leader de l’économie mondiale ?
Il fait peu de doute que la Chine deviendra, en 2010, la deuxième puissance économique mondiale devant le Japon. Il y a un basculement du monde vers l’Asie, tant en termes économiques que démographiques. L’avenir n’est pas chez nous.

La physionomie de l’économie va donc changer ?

Au-delà de cette crise, nous assistons à une remise en cause profonde de la société de consommation. Le consommateur commence à prendre conscience de l’absurdité de ce modèle et des gaspillages qu’il engendre. La revente de cadeaux de Noël sur eBay en est une illustration anecdotique mais manifeste. L’idée de travailler plus, pour gagner plus, pour consommer plus est dépassée.
L’écologie et les préoccupations de la planète qui autrefois semblaient une fantaisie sont maintenant au coeur des préoccupations de tous et doivent nous guider. Si la Chine et l’Inde continuent sur le même rythme de croissance, d’ici quelques décennies, il faudra les ressources de quatre planètes pour soutenir la demande globale. Cela n’incite pas à chercher la décroissance mais à trouver un nouveau modèle d’expansion et une nouvelle manière de la mesurer.
Quel est l’avenir de notre finance, de notre industrie ?
L’Industrie a toujours un avenir, elle représente et représentera toujours de l’ordre de 10 % à 15 % du PIB. Mais on va se tourner vers une industrie à plus forte valeur ajoutée vers des secteurs innovants, dans le domaine des énergies renouvelables et des nouveaux matériaux par exemple. Quant à la finance, la crise a montré ses travers mais aussi son caractère essentiel pour l’économie. Aujourd’hui, on essaie de la discipliner mais il faut se rappeler la phrase d’Isaac Newton, en 1720 lorsqu’il avait investi dans une entreprise, qui avait fait faillite : “Je sais mesurer le mouvement des corps, pas la folie des hommes.” En dépit des efforts, nous ne changerons pas grand-chose.
Le Monde

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