Alain-Gérard Slama, chroniqueur au Figaro, analyse l’obsession de la diversité et de l’égalitarisme chez les «élites» françaises. Une obsession illustrée par l’idée de quotas dans les grandes écoles.
C’est, sauf erreur, l’historien Raoul Girardet qui, dans un cours sur le fascisme professé à Sciences Po vers le milieu des années 1950, a le premier évoqué – avant François Furet – la «haine de soi» de la bourgeoisie comme une des sources des totalitarismes du XXe siècle.
Cette haine de soi renvoie, depuis la Révolution française, au sentiment de culpabilité éprouvé par les nouvelles classes ascendantes devant le décalage entre les valeurs qu’elles professent et la réalité de leur confort matériel. Drieu la Rochelle a esquissé le thème dès 1937 dans un roman intitulé avec grâce Rêveuse bourgeoisie.
Rêveuse bourgeoisie ! La manière dont le débat sur la démocratisation des grandes écoles vient de s’engager confirme, hélas, le caractère chronique de cette pulsion suicidaire. Car enfin, où trouve-t-on les adversaires les plus implacables du principe républicain de l’égalité devant le concours, et les partisans les plus militants des discriminations positives ?
Quels sont les signataires des articles vengeurs accusant d’égoïsme corporatiste et d’élitisme borné le refus des dirigeants des grandes écoles de donner suite au projet gouvernemental de recruter 30 % de boursiers par promotion, à l’horizon des quatre prochaines années ? On les trouve surtout parmi les classes dirigeantes, dans les rangs de ceux que le sociologue Pierre Bourdieu a baptisés les «héritiers», et que Bernanos appelait les bien-pensants.
Sans doute, d’un point de vue moral, la mauvaise conscience vaut-elle mieux que l’arrogance. En l’espèce, elle n’aveugle pas moins. Il faut beaucoup s’aveugler, en effet, pour oublier, ou feindre d’oublier, que le problème de reproduction des élites intellectuelles soulevé par le recrutement des grandes écoles est la conséquence de la dégradation de notre cursus éducatif tout entier.
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