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C’est la principale question que pose un article du journal Le Progrès, dont nous ne partageons pas l’optimisme sur divers points (l’immobilier qui irait mieux, les banques qui auraient retrouvé une stabilité durable, la pérennité des impulsions données à certains secteurs par l’injection massive d’argent public, la crédibilité des chiffres de l’INSEE en matière de chômage…).
Nous le reproduisons néanmoins intégralement ci-après, dans la mesure où, en dépit du fait qu’il présente un tour d’horizon “officiel” de la situation, il s’interroge, malgré tout, sur un point essentiel.
Il y a un an, la faillite de la banque américaine Lehman plongeait le monde dans la crise. Sur le marché de l’emploi, cette récession reste brutale.
1. La reprise reste fragile
Sortie de crise, reprise, bonnes surprises… Gouvernants et économistes n’ont que ces mots d’espoir à la bouche depuis la rentrée. Tout irait mieux un an après le déclenchement de la récession ? Le spectre de la grande récession de 1929 serait donc éloigné.
En France, les 180.000 salariés au chômage partiel, les 124.000 personnes qui doivent leur emploi à un contrat aidé, les 122.500 salariés touchés par les plans sociaux depuis octobre 2008, les 400.000 étudiants en stages non rémunérés (ou si peu) n’ont sans doute pas la même vision optimiste.
Aux États-Unis, les 25 millions de ménages en faillite, les 12 millions d’expulsés de leurs maisons qui ont cessé de consommer frénétiquement témoignent de la fragilité de la reprise.
La crise frappe à toutes les portes, touchant d’abord des régions industrielles comme Rhône-Alpes ou Franche-Comté, attaquant des « sociétés marque » que l’on a crues invulnérable: 4.000 postes perdus chez Air France, 1.700 à La Redoute, 600 chez Caterpillar, 11.000 chez General Motors…
Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz dresse le bilan: «Les États ont bien réagi en injectant de l’argent dans l’économie, mais le chômage pénalise la consommation et des ménages ont du mal à rembourser les dettes, ce qui bloque toute croissance durable. La spéculation financière n’a pas disparu. Les États surendettés n’ont pas les moyens d’empiler les plans de relance ni d’engager des fonctionnaires pour amortir la montée du chômage ».
Réglementer le système bancaire, protéger les emplois industriels, inventer une croissance tournée vers le bien-être et le partage des revenus : la crise a ouvert un immense chantier. La sortie de crise demande une révolution financière pacifique qui aurait le mérite d’éviter l’explosion sociale. Les dirigeants de la planète oseront-ils l’entreprendre?
2. L’immobilier repart, la consommation reste grippée
Les deux moteurs de la croissance des années 2000 ont été les premiers affectés par la crise. Les prix de l’immobilier en France se stabilisent après un an de baisse. Sous l’effet de prêts à taux intéressants et du dispositif Scellier, le marché repart sans retrouver la frénésie des années 2000-2007. La chute brutale est évitée selon tous les spécialistes.
La consommation des ménages reste en revanche très balbutiante: quelques mesures comme la prime à la casse, les baisses de TVA et des soldes ont permis des regains de confiance donc d’achats. «Mais on constate une rupture avec le tout consommation sur l’habillement, l’équipement de la maison à l’exception de la téléphonie. Et le discount devient la règle» note le centre de recherche et d’étude sur les comportements (CREDOC). Aussi les rebonds profitent surtout à la Chine qui fournit le reste du monde en produits pas chers.
3. Les banques vont mieux sans se réformer
Le lundi 15 septembre 2008, la vénérable banque d’affaires Lehman Brothers prend le monde par surprise en annonçant son dépôt de bilan. La nouvelle déclenche une onde de choc sur l’ampleur de la crise financière. La banque s’effondre parce qu’elle a prêté pus d’argent qu’elle n’en possédait à des débiteurs insolvables.
« Le sentiment était que la crise financière n’avait pas de solution et que nous nous dirigions vers une seconde Grande Dépression, comme celle de 1929. Mais, après avoir laissé tomber Lehman, les pouvoirs publics n’ont plus fait la même erreur » commente Cary Leahey, économiste chez Decision Economics. À coups de milliards de dollars et d’euros, les gouvernements volent au secours des banques. Réflexe salutaire pour nombre d’entre elles. La faillite mondiale est évitée.
Les banques ont rétabli leurs comptes en serrant le robinet sur les créances douteuses, en augmentant les tarifs pour leurs clients, en limitant aussi les prêts aux entreprises, ce qui leur a valu des remontrances des gouvernements. Mais elles s’accrochent à un fonctionnement purement financier qui distribue bonus, stock-option, retraites dorées et qui repose sur le risque. L’enjeu du G20 de Pittsburgh le 24 septembre, ce sera bel et bien la régulation et la restructuration du système financier.
Limiter les produits financiers à risque, fermer les paradis fiscaux, lier les bonus aux résultats, mettre en conformité activité financière et activité économique, bref refaire en sorte que la finance soit un moyen et non une fin : l’Union européenne est prête à légiférer sur ces sujets pour contraindre les banques. Obama appelle à la même régulation mais sans contrainte par la loi. La tentation de recommencer comme avant reste forte.
4. L’épargne des ménages a été affectée
Tous perdants ? C’est bel et bien la leçon de cette crise. « Parce qu’ils ont perdu leur emploi provisoirement ou définitivement, des ménages ont puisé en 2009 dans leur épargne pour maintenir le niveau de vie ou, tout simplement, survivre » constate l’observatoire du Crédit.
Le pouvoir d’achat des ménages modestes a donc encore baissé, et ce, malgré une inflation contenue.
Mais les classes moyennes ont également souffert. Pour la première fois depuis 1993, le patrimoine des foyers français est en baisse (-3 % en 2008, -2 % cette année). Malgré le rebond récent des places boursières, les petits porteurs n’ont pas, loin de là, récupéré leur patrimoine de valeurs boursières placées sur un PEA ou sur des comptes titres dans les années fastes de l’après crise du 11-Septembre. Ceux qui ont vendu leurs actifs ont d’ores et déjà perdu entre 20 % et 34 % de leur patrimoine financier. Mais le petit épargnant prudent n’est pas mieux loti. La baisse des taux d’intérêt a affecté son épargne populaire et protégée (Livrets, Sicav monétaires etc.).
Tout cela compromet donc durablement un rebond de la consommation qui retarde la sortie de crise. Depuis un an, les Français comptent encore plus leurs sous.
5. Les emplois perdus ne seront pas récupérés
Les plans sociaux et restructurations ont accablé tous les secteurs d’activité. À la sortie des plans sociaux, peu d’emplois sont sauvés. Les victimes s’en tirent au mieux avec une préretraite déguisée, en général avec un « chèque », parfois avec rien d’autre que l’indemnité Assedic. Les reprises à l’image de Molex (Haute-Garonne) où au mieux 60 postes sur les 283 seront préservés, se traduisent par des poignées d’emplois sauvés.
Des activités à l’agonie
La construction mécanique (5.200 emplois perdus), la fabrication des semi-conducteurs, le transport aérien (1.500 postes supprimés à Air France), le transport routier, l’horlogerie, les usines de textile et de pâte à papier: les milliers d’emplois perdus dans ces secteurs seront soit supprimés définitivement soit transférés dans des pays à bas coût de main-d’œuvre. Ceux qui survivront devront trouver des niches pour sauver quelques emplois. Idem pour la sous-traitance automobile ou la plasturgie. Non seulement, les salariés licenciés sont difficiles à reclasser, mais encore des milliers de postes se ferment pour les jeunes.
Des secteurs fragilisés
L’automobile a été maintenue à flot par les aides d’État en France et en Allemagne (primes à la casse, chômage partiel) ce qui explique le rebond de l’été. L’aéronautique va subir, à terme, la baisse du trafic aérien et la concurrence chinoise. La chimie repart aussi mais avec des carnets de commandes fragiles.
Ils vont mieux
Plans de relance, baisse des taux d’intérêt, dispositifs fiscaux ont profité au bâtiment. «Les investisseurs sont de retour sur de grands programmes» note Jean-Pierre Roche, vice-président de la fédération Rhône-Alpes. Autre secteur prometteur: le high-tech. Que ce soit la téléphonie, l’informatique, le logiciel, les ventes se maintiennent. Le secteur des énergies propres a créé des emplois dits verts (voiture électrique…). Enfin, le tourisme-loisirs-restauration, gros employeur, a mieux tiré son épingle du jeu que prévu ?
6. Chômage : pourquoi le pire reste à venir en France
Bilan : des milliers d’emplois perdus
Près de 381.000 depuis un an en France dont 106.000 au deuxième trimestre 2009. Cela ne se traduit pas par autant de demandeurs d’emplois car beaucoup de ces emplois sont des postes « non remplacés » de retraités ou de personnes cessant une activité. Depuis janvier, 2.800 personnes poussent tous les jours la porte du Pôle Emploi. Aux États-Unis, le taux de chômage, qui depuis 1990 oscillait entre 4 et 6 %, devrait atteindre 10,1 % en fin d’année prochaine.
Le taux de chômage devrait atteindre 11,3 % en France fin 2010, 11,8 % en Allemagne et 10,5 % en Italie.
Perspectives : toujours du chômage
Le pire de la récession s’agissant de l’emploi est encore devant nous, notamment en Allemagne, France et Italie, souligne l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), dans son rapport annuel « Perspectives de l’emploi ».
Selon les projections de l’organisation, si « la plus grande part de la hausse attendue du chômage se sera déjà produite à la mi-2009 en Espagne (18,5 % de taux de chômage), aux États-Unis (10 %), en Irlande et au Japon, elle restera à venir dans d’autres pays ».
La France figure dans la liste des pays qui n’ont pas atteint le pic. Le sombre pronostic établi en mars d’un taux atteignant fin 2010 les 10 % est maintenu par l’Insee.
« Le redressement de l’emploi sera beaucoup plus long que celui de la production », souligne John Martin, directeur de la Direction Emploi de l’OCDE, dans le préambule.
En moins de trois ans, entre fin 2007 et fin 2010, le nombre de chômeurs aura progressé autant qu’en dix ans lors des deux grands chocs pétroliers.
Selon l’OCDE, « l’un des principaux risques est de voir une grande part de cette forte hausse du chômage se muer en « crise sociale à part entière, avec à la clé une santé dégradée, une baisse de niveau de vie, une augmentation des suicides, de la délinquance et de la criminalité, et une diminution du potentiel de croissance ».
7. Peut-on craindre une explosion sociale ?
Deux Français sur trois y croient selon un sondage du magazine Challenges. Dans un premier temps, la réaction face à la dégradation de la situation économique a été classique et collective. Les salariés se sont tournés vers les syndicats et sont descendus dans la rue.
Le gouvernement n’a pas cédé à la revendication d’une relance par la consommation. Le mouvement s’est essoufflé. Donc, les réactions sont devenues plus locales, plus individualistes, plus violentes aussi. Patrons séquestrés, bonbonnes de gaz dans les usines, jets d’œufs et même jusqu’aux suicides chez France Telecom…
Dans l’entourage du président, on est vigilant. Mais pas affolé. « Pour l’instant, il y a un mouvement d’excitation, mais pas de prémices de révolution, explique Patrick Buisson, conseiller officieux de Nicolas Sarkozy. ll y a une véritable attente de l’opinion sur les projets de la rentrée, quand nous commencerons à sortir du marasme. Historiquement, le danger est toujours en sortie de crise, quand les choses commencent à aller mieux.»
L’économiste Bernard Maris (Paris VIII) croit lui aussi que « la révolution n’est pas pour aujourd’hui et probablement pas pour demain : il y a du mécontentement, du ressentiment, mais il n’y a pas l’espérance qu’un autre système est à portée de main».
A la CGT, Christian Larose n’y croit pas a priori. A un bémol près: «Cela peut dégénérer. A Continental, en mai dernier, par exemple, le gouvernement a envoyé le GIGN. Les salariés ont tiré au fusil de chasse sur l’hélicoptère. On a frôlé le drame. Si les éléments les plus violents prennent la tête d’un conflit, tout devient possible».
La possibilité est donc faible mais elle existe.
Le Progrès
(Merci à Léonidas)

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