Par le Père Augustin
Le dimanche de la Quinquagésime
[dailymotion]http://www.dailymotion.com/video/x4da6w_plain-chant-picard-messe-de-l-avent_music[/dailymotion] Messe ou kyriale en usage dans le diocèse d’Amiens pendant l’Avent et de la Septuagésime jusqu’à Pâques.
Ces pièces de plain-chant d’Amiens (appelé aussi plain-chant picard) ont été enregistrées le jour de la Quinquagésime en 1975 à Grouches-Luchuel à coté de Doullens (Somme)
Nous continuons le compte à rebours avant Pâques, et nous recevons l’enseignement particulièrement nourrissant de ces trois dimanches de la Septuagésime, de la Sexagésime et de la Quinquagésime.
L’Evangile d’aujourd’hui, mettant dans un même récit d’une part l’incompréhension totale des apôtres lorsque le Christ leur annonce sa mort et sa résurrection et d’autre part la guérison d’un aveugle qui en fait la demande, traite me semble-t-il d’un sujet passionnant et tout à fait actuel : l’indifférence religieuse, qui a toujours existé et qui est dominante aujourd’hui en Occident. L’indifférent est une sorte d’aveugle spirituel. Il ne voit pas les choses de Dieu, il ne comprend pas l’enjeu de sa parole. Lorsque les apôtres eux-mêmes ne veulent pas comprendre l’annonce (répétée trois fois dans l’Evangile de Luc) de la mort et de la résurrection du Christ, ils manifestent eux aussi une forme d’indifférence religieuse.
Les apôtres ne comprennent pas le Christ. Comment vont-ils « réaliser » ce qu’il leur dit ? – Ils devront faire comme l’aveugle, ici donné en exemple, qui obtient sa guérison en demandant au Seigneur la lumière : « Seigneur que je voie ! ».
Quant à l’épître, très longue et très importante elle aussi, elle reprend le chapitre 13 de la Première Epître aux Corinthiens de saint Paul – ce passage lyrique que l’on appelle l’hymne à la charité : « Si je parlais les langues des hommes et des anges et que je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain qui sonne et une cymbale qui retentit ». Saint Paul ici oppose explicitement le « parler en langue » des charismatiques de son époque avec la « voie toute nouvelle » qu’il enseigne lui : celle de la charité. J’emploie ici volontairement le mot « charité » qui correspond à un vieux mot grec, pratiquement inusité avant le Christ et que l’on a ressorti des placards de la langue grecque, pour exprimer l’amour de Dieu, qui n’est ni le désir (eros) ni la tendresse familiale (storgué), mais cet amour désintéressé, que j’appellerai volontiers le service. « Dieu est charité » dit l’apôtre Jean dans sa Première Epître. Dieu est à notre service dans son fils Jésus Christ. Nous devons nous mettre au sien autant que nous en sommes capables.
Charles Maurras écrivait jadis : « A force de dire que Dieu est amour, on finira par dire que tout amour est Dieu ». Il avait raison : l’amour n’est pas Dieu. Il peut être jaloux, il peut être propriétaire, il peut être égoïste ou égolâtre, il a mille raison de devenir lourd, pénible insupportable, de devenir le grand esclavagiste. L’amour vrai (celui seul qui est Dieu) est celui qui est capable d’oublier son « moi », pour se mettre au service de l’autre. On retrouve là d’ailleurs une belle formule de saint Paul dans l’épître aux Ephésiens : « Soyez au service les uns des autres ». Cet amour seul est plus fort que l’Eros, comme le reconnaît le philosophe « communiste » Alain Badiou dans son récent petit Eloge de l’amour (Flammarion 2009).
Je crois que cette charité-là, cette aptitude à s’oublier soi pour se mettre au service d’un autre ou d’une autre (dans la vie amoureuse), au service des autres (dans la vie professionnelle) est le principal remède à l’indifférence religieuse, dont nous parlions plus haut à propos de l’aveugle dont il est question dans l’Evangile d’aujourd’hui : « Celui qui fait la charité voit la Trinité », c’est-à-dire voit Dieu, dit saint Augustin. En effet, si Dieu est charité, alors celui qui agit comme Dieu… verra Dieu.
Saint Valentin
L’enseignement extrêmement important de ce dimanche ne doit pas nous faire oublier la Saint Valentin, que le pape Gélase 1er , par un décret de 498 que nous possédons toujours, a fait patron des amoureux. Il considérait en effet que l’Eglise avait une doctrine de l’amour et un enseignement à donner aux amoureux. Et il souhaitait mettre fin aux Lupercales, la dernière fête païenne célébrée à Rome, dans laquelle les hommes sacrifiaient un bouc et faisaient des lanières avec sa peau, lanières dont ils frappaient les femmes qu’ils rencontraient pour les rendre fécondes. Les Lupercales avaient lieu autour du 15 février, date qui doit marquer le premier retour du printemps : la montée de la sève.
Pourquoi le prêtre Valentin a-t-il été choisi comme patron des amoureux ? Il est bien difficile de démêler les différentes versions de son histoire. Il fut martyrisé le 14 février 268 à Rome. Il était réputé comme conseiller des jeunes amoureux. Son apostolat hors normes le désigna aux persécuteurs des chrétiens qui sévissaient alors. Mis en prison, il rencontra Julia, une jeune aveugle qui était la fille de son geôlier Asterus. Eprise de lui, elle venait le nourrir dans sa prison. Quant à lui, il essayait de lui décrire le monde alentours. Et un jour il lui rendit la vue. Elle s’écria : « Maintenant, je vois le monde, tel que vous me l’avez décrit ». Emporté par son destin, le prêtre Valentin fut décapité. Il eut le temps de laisser à la jeune Julia une lettre qui se terminait par « ton Valentin », donnant ainsi l’exemple à tous les Valentins du monde.
Le poète Charles d’Orléans (1394-1465) a écrit un beau poème sur la Saint Valentin, dans lequel il n’ose se mettre du « party » de ceux qui aiment, avec les oiseaux qui pépient gaiement dehors : « Saint Valentin choisissent ceste annee / Ceulx et celles de l’amoureux party. / Seul me tiendray, de confort desgarny,/ Sur le dur lit d’ennuieuse pensee ». Fête païenne, fête chrétienne, la Saint Valentin est aujourd’hui une fête commerciale. Pas la peine de tomber dans ce panneau-là ! Mais qu’est-ce qui empêche de la fêter sérieusement, si l’on se veut soi-même « délivré des ennuyeuses pensées », ayant pris « l’amoureux party » – oui : ayant fait un choix ? Il y a dans cet « amoureux party » une exigence de vérité et de décision qu’a bien montré le chrétien Eric Rohmer (mort le 11 janvier dernier) dans son Conte de printemps (1990).