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Icône d’une certaine gauche américaine, le Prix Nobel d’économie 2008, qui n’a pourtant pas vu venir la crise, tombe à bras raccourcis sur sa profession, qu’il juge, a posteriori, déconnectée du réel. Morceaux choisis.

“Bien que cela soit difficile à croire aujourd’hui, hier encore les économistes se félicitaient des succès de leur discipline. Ces succès – du moins le pensaient-ils – à la fois théoriques et pratiques, conduisaient la profession vers un âge d’or.

Ainsi, dans un document publié en 2008 intitulé « La situation de la macro » (c’est à dire de la macroéconomie, l’étude des grands problèmes tels les récessions), Olivier Blanchard, du MIT et aujourd’hui économiste en chef du Fonds Monétaire International, écrivait que « la situation de la macro est satisfaisante ». Les batailles d’antan sont terminées, notait-il, et une « large convergence des points de vue » s’est opérée.

En ce qui concerne le monde réel, les économistes pensaient avoir la situation sous contrôle : le « problème central de la dépression – celui de sa prévention – a été résolu », déclarait Robert Lucas, de l’Université de Chicago en 2003, à l’occasion d’un discours devant l’Association Américaine d’Economie. En 2004, Ben Bernanke, l’ancien professeur de Princeton aujourd’hui président de la Federal Reserve, célébrait la « Grande Modération » – les performances économiques au cours des deux dernières décennies – qu’il attribuait en partie aux progrès de la politique économique.

L’an dernier, tout s’est effondré.

Peu d’économistes ont vu venir la crise actuelle, mais cet échec de la prévision est le moindre des problèmes de la discipline. Le plus important était celui de la cécité de la profession sur la possibilité de défaillances catastrophiques dans une économie de marché. Durant l’âge d’or, les économistes financiers en vinrent à croire que les marchés étaient fondamentalement stables – que les actions et autres actifs étaient toujours cotés à leur juste prix. Rien dans les modèles dominants ne suggérait l’éventualité d’un effondrement du type de ce qui s’est déroulé l’an dernier.

A l’époque, les macro-économistes étaient divisés. Mais la principale divergence se situait entre ceux qui insistaient sur le fait que les économies de marchés ne déraillent jamais et ceux qui estimaient que l’économie peut déraper ici où là, mais que tout écart important hors de la voie de la prospérité pourrait et devrait être corrigé par la toute-puissante Fed. Aucun des deux camps n’était préparé à faire face à une économie qui sortirait de ses rails en dépit des plus grands efforts de la Fed.

A mon avis, les économistes se sont égarés, car ils ont, en tant que groupe, confondu la beauté – revêtue d’imposants atours mathématiques – avec la vérité. Jusqu’à la Grande Dépression, la plupart des économistes s’accrochaient à une vision du capitalisme perçu comme un système parfait ou presque. Cette vision devint indéfendable face à un chômage de masse, mais lorsque le souvenir de la Crise s’est estompé, les économistes sont revenus à leurs anciennes amours, avec une vision idéalisée d’une économie dans laquelle des individus rationnels interagissent dans des marchés parfaits, vision cette fois habillée d’équations sophistiquées.

La cause centrale de l’échec de la profession provient d’un désir de disposer d’un modèle englobant tout, intellectuellement élégant, procurant également aux économistes l’occasion d’exhiber leurs prouesses mathématiques.

Malheureusement, cette vision idéalisée et aseptisée de l’économie a conduit la plupart des économistes à ignorer tout ce qui peut mal tourner. Ils ont fermé les yeux sur les limites de la rationalité humaine qui engendrent souvent des bulles et des faillites, sur les problèmes des institutions devenues folles, sur l’imperfection des marchés – notamment financiers – qui peut provoquer des pannes subites et imprévisibles dans le système d’exploitation de l’économie, et sur les dangers qui surgissent lorsque les régulateurs ne croient pas eux-mêmes à la réglementation.

Il est beaucoup plus difficile de dire vers quoi la profession va se diriger désormais. Mais ce qui est à peu près certain, c’est que les économistes vont devoir apprendre à vivre avec le désordre. Autrement dit, ils devront reconnaître l’importance des comportements irrationnels et souvent imprévisibles face aux imperfections souvent intrinsèques des marchés et devoir accepter qu’une élégante « théorie du tout » soit encore très éloignée. En termes pratiques, cela se traduira par plus de conseils de politique prudente – et une moindre volonté de démanteler les garde-fous économiques en ayant foi que les marchés pourront résoudre tous les problèmes.”

(ContreInfo)

A rapprocher de ce qu’annonçaient les non-économistes du LEAP (Laboratoire Européen d’Anticipation Politique), le 15 janvier 2006.

En voici une synthèse.

Hypothèse 1 : La période actuelle traduit notamment la fin de l’ordre du monde instauré après la Seconde Guerre Mondiale. Hypothèse 2 : La Fin de la Guerre Froide a initié une déconnection objective croissante de la plus grande partie de la planète par rapport aux évolutions des deux grands acteurs de cette même Guerre Froide : l’URSS et les Etats-Unis.

Hypothèse 3 : La globalisation a affaibli considérablement la capacité de chaque Etat à influer de manière décisive sur sa propre évolution, et a collectivement fortement réduit la possibilité de prévenir et gérer les crises majeures.

Hypothèse 4 : Une “super-puissance” ne peut pas durablement voir sa crédibilité externe (attractivité culturelle, morale, intellectuelle et puissance militaire) et sa crédibilité interne (légitimité institutionnelle, aptitude à incarner son propre discours) s’amenuiser fortement sans voir assez rapidement le fondement même de sa puissance et de son influence remis en cause.

Hypothèse 5 : La Chute du Rideau de Fer en 1989 qui a conduit à la disparition de l’URSS trois ans plus tard, est le résultat d’une évolution historique qui affecte également les Etats-Unis./…

En fonction de ces hypothèses, on peut légitimement considérer la comparaison entre les deux suites d’évènements ci-dessous.

Première suite : URSS

1. 1979 – Invasion de l’Afghanistan par l’URSS, suivie directement de la perte définitive de son prestige de “protecteur” du Tiers-Monde face au Premier monde (l’Occident) et de la constatation directe de l’inaptitude de l’Armée Rouge à maîtriser et régler le conflit généré par cette invasion.

2. 1986 – Catastrophe de Tchernobyl, démontrant au monde la vétusté des infrastructures et le délabrement de toute la société soviétiques. Prise de conscience par de nombreux Russes et une large majorité des pays “satellites” de l’obsolescence du pouvoir soviétique et de son désintérêt pour son propre peuple.

3. 1989 – Chute du Mur de Berlin suivie de la chute générale du Rideau de Fer.

4. 1992 – Fin de l’URSS.

Seconde Suite : USA

1. 2001-2003 – Attaques terroristes sur New York et Washington mettant fin au mythe de l’invulnérabilité du territoire des Etats-Unis, et lancement de l’invasion de l’Irak conduisant à la perte du leadership moral acquis ces dernières décennies et démontrant l’incapacité de l’armée US à maitriser et régler le conflit généré par cette invasion.

2. 2005 – Catastrophe du cyclone Katrina détruisant notamment l’une des très grandes villes des Etats-Unis, faisant apparaître l’absence de prévention, le désintérêt du pouvoir pour les classes défavorisées, l’ampleur de la pauvreté “cachée” et la désorganisation des secours.

Les deux questions que la comparaison des deux suites d’évènements peut conduire à poser sont les suivantes :

3. Quel est le Mur de Berlin pour les Etats-Unis ? Ou autrement dit : Quel est le “Mur de Washington” qui lui permet de conserver son emprise sur ce qui est au cœur de son pouvoir ?

4. Quand tombera-t-il ?

Les réponses d’Europe 2020 sont les suivantes :

. Le “Mur de Washington”, c’est le Dollar, et la chute du “Mur de Washington” sera donc une grave crise de confiance affectant le Dollar.

. en fonction de la suite d’évènements “URSS”, une date probable se situe donc entre 4 et 7 ans. Europe 2020 a donc retenu symboliquement 2010.

Précision : Les évolutions actuelles dans les domaines financiers, monétaires et économiques, notamment les déficits américains croissants, l’émergence de l’Euro comme alternative partielle, la dépendance commerciale et monétaire immense des Etats-Unis vis-à-vis de certains de ses plus féroces concurrents comme la Chine, ne permettent en aucun cas d’invalider un tel scénario. Bien au contraire.

(LEAP-Europe2020)

A notre avis, les croyances qui s’écroulent aujourd’hui débordent largement du cadre de l’économisme.

C’est la crédibilité-même d’un système fondé sur la modernité technicienne et spécialisée issue des Lumières, à commencer par la foi en le progrès, en l’instruction comme outil de promotion sociale, en les titres universitaires sanctifiant une déesse Raison prétexte à l’utilitarisme mercantile et au tout-à-l’égo, en la rationalisation comme désenchantement du monde (Max Weber), qui est battue en brèche par le rôle renaissant de la culture générale, de l’empirisme, de l’intuition, de l’insolence iconoclaste, du pascalien “il est plus beau de savoir quelque chose de tout que tout de quelque chose”.

Quand un non-économiste s’avère plus clairvoyant que la grande majorité des économistes, alors “l’éléphant est irréfutable” (Alexandre Vialatte).

Le réel n’a que faire des diplômes et de la considération dont sont bardés ses théoriciens.

N’est-ce pas au pied du mur qu’on voit le maçon ? N’est-ce pas à ses fruits qu’on juge l’arbre ?

Comment pourrait-on encore accorder foi à des gens qui se disent eux-mêmes “égarés” ?

Nous attendons de pied ferme les accusations de simplisme et de démagogie.

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