Par le Père Augustin
L’Evangile d’aujourd’hui est très curieux, il est fait de plusieurs petites paraboles qui se suivent et il suscite l’admiration d’une femme dans la foule, qui s’écrie à l’attention du Messie : « heureux le sein qui t’a porté et les mamelles qui t’ont allaité ».
Pourquoi cette admiration d’une femme anonyme ? Parce que Jésus dévoile, pour la première fois avec cette netteté, le mystère du Mal, de la puissance du mal non seulement dans le monde, mais dans chacune de nos vie.
Les philosophes habituellement ont défini le mal comme une absence de bien. Pour Platon, le bien est tellement évident que seul l’ignorance peut nous empêcher d’agir bien. La morale laïque des instituteurs au début du XXème siècle était aussi celle-là : il suffit d’enseigner la morale pour transmettre l’envie de faire le bien. Morale trop purement philosophique, que le Christ vient bouleverser.
Qu’enseigne-t-il ? D’abord que la vie morale est un combat. Le bien n’est pas facile à faire, quoi qu’en aient pensé les philosophes grecs (cf. encore Aristote : « le bien c’est ce que toutes choses désirent », première ligne de l’Ethique à Nicomaque). Il y a une sorte d’analogie du struggle for life dans l’ordre spirituel : « Quand un homme fort et bien armé garde son palais, ses biens sont en sûreté. Mais qu’un plus fort que lui survienne et le batte, il lui enlève l’armure en qui il mettait sa confiance et distribue ses dépouilles » Sortez armés contre le mal, telle pourrait être l’étonnante morale de cette histoire.
Dans une deuxième parabole, le Christ insiste sur le rôle du diable, « l’esprit mauvais », celui pour lequel tout aurait pu être facile mais qui s’est révolté contre Dieu. Le diable n’est pas un « Dieu du Mal » ou un Principe du Mal face à Dieu qui serait seulement le principe du Bien. A l’origine de ce Mal, d’ailleurs, que l’on appelle le péché, on trouve ce mouvement de la liberté de l’esprit qui dit : NON à l’ordre établi par Dieu. L’origine du mal ? Non pas un catalogue de péchés qui serait « tout fait », mais simplement le CHOIX que fait l’homme ou que fait l’ange de vivre uniquement pour lui-même. Au lieu de servir (Dieu), se servir (soi), être son propre Dieu. Chacun dans la vie à le choix de ce qu’il met au-dessus de tout : son ego ou bien le service de ce qui est plus grand que lui : sa famille, sa patrie, son Dieu.
Tel est le choix à l’origine de la vie morale. Encore est-il souvent fragile. Celui qui a l’impression de s’être converti et de « faire le bien », s’il n’y prend pas garde, peut donner abri non pas à un démon dit le Christ, mais à sept démons. Il se donne l’air de faire le bien, mais en réalité au fond de lui-même, c’est encore lui-même qu’il sert. Tel est le personnage du Pharisien dans l’Evangile : un juste qui se sert lui-même au lieu de servir Dieu. Ces « justes » là, qui se montre faisant le bien, qui « se font précéder de deux trompettes quand ils font l’aumône », ce sont les plus dangereux ou les plus méchants : « Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, il erre par les lieux arides pour trouver du repos. N’en trouvant pas, il se dit : Je vais retourner dans ma maison dont je suis sorti. A son arrivée, il la trouve balayée et ornée. Alors il s’en va prendre sept autres démons plus méchants que lui, ils reviennent et s’y installent et l’état final de cet homme est pire que le premier »…
Les « justes » parfois pires que les pécheurs, cela revient souvent dans l’Evangile : « Les publicains (collecteurs d’impôts à la solde de Rome) et les prostituées vous précèderont dans le Royaume des cieux ». Saint Augustin explique dans son Traité Contre Julien : « il ne suffit pas de faire le bien, il faut le faire bien ». En latin : bene bona facere. Faire le bien du fond du cœur et pas seulement matériellement.
En ce temps de Carême, c’est important de revenir au fondamental de l’Evangile : il ne s’agit pas seulement d’observer la loi ; tout ce que tu ne fais pas avec cœur n’a aucune valeur.