Chez lui à Harare, l’économiste indépendant John Robertson vient de recevoir la dizaine de pages du décret d’application de la nouvelle loi économique d'”indigénisation”. Il relit certains passages à haute voix en soupirant : “Pour oublier la profonde crise dans laquelle se trouvait le pays, le Zimbabwe a besoin de 15 % à 20% de hausse de croissance pendant plusieurs années, cette loi ne va pas nous aider…”
D’ici cinq ans, toutes les entreprises étrangères installées au Zimbabwe dont le capital est supérieur à un demi-million de dollars (370 000 euros) devront avoir transféré 51 % de leurs parts à des Zimbabwéens. Cette loi adoptée en 2007 sous le régime de l’actuel président Robert Mugabe est entrée en application le 1er mars alors que l’économie du pays peine toujours à décoller.
“En dix ans, la réforme agraire a fait fuir 4 000 fermiers blancs et anéanti la production agricole, maintenant ce sont les entreprises qui vont péricliter.”
“Sur le fond, c’est une bonne chose d’essayer de corriger les inégalités héritées de l’ancien régime colonial, mais ce n’est vraiment pas le meilleur moment”, constate Lovemore Kadenge, président du cercle de réflexion Zimbabwe Economics Society. “Nous allons effrayer les investisseurs étrangers dont le pays a pourtant désespérément besoin.” Avant d’ajouter : “Et même si ce ne sont pas des nationalisations, comment voulez-vous que des Zimbabwéens achètent ces actions ? La plupart n’en a pas les moyens !”
Morgan Tsvangirai, le principal opposant du régime devenu premier ministre d’un gouvernement d’union nationale en février 2009, a assuré que cette loi serait revue, car il n’a pas été consulté sur cette question par le président Robert Mugabe. Agé de 86 ans, celui-ci a annoncé la semaine dernière qu’il était prêt à se représenter lors de la prochaine élection présidentielle prévue d’ici deux ans. “En ressortant soudainement cette loi vieille de deux ans, il a prouvé qu’il avait déjà lancé sa campagne”, estime Eldred Masunungure, professeur de sciences politiques à l’université du Zimbabwe dans la capitale Harare. “Cette loi n’a rien à voir avec l’économie, c’est surtout un argument électoral populiste.”
Son adversaire Morgan Tsvangirai est crédité par l’opinion des premiers succès du gouvernement d’union nationale. En 2009, la croissance fut de 4,7 % après une chute de 40 % du produit intérieur brut en dix ans. L’introduction du billet vert américain à la place du dollar zimbabwéen a permis de faire chuter à 8 % le taux annuel d’inflation qui plafonnait à… 500 milliards pour cent en 2008, et de garnir les rayons des magasins autrefois vides.
“Nous avons de plus en plus de clients et de choix de produits”, sourit Rocco Malahias, responsable d’un supermarché Spar, l’un des cinq récemment ouverts à Harare. Derrière son caddie, Patrick Ogee, un maillot de football américain sur ses larges épaules, est confiant : “Je suis à la tête d’une petite entreprise de publicité, l’activité est encore lente, mais c’est prometteur.”
Les habitants les plus aisés peuvent de nouveau consommer. Mais les prix demeurent trop élevés pour une grande partie de la population. Le niveau de la production locale est encore bas, faisant ainsi toujours la part belle aux biens importés. Les bailleurs internationaux restent réticents à aider le Zimbabwe en raison des incertitudes planant sur l’avenir du gouvernement d’union nationale.
Début février, les syndicats ont appelé à la grève les 200 000 fonctionnaires zimbabwéens pour exiger une hausse des salaires de 150 à 500 dollars par mois. Le mouvement s’est essoufflé et les fonctionnaires ont repris le travail sans avoir obtenu satisfaction.
“Nous perdons patience”, bout Oswald Madziva, le porte-parole du Syndicat des enseignants progressistes du Zimbabwe (PTUZ). Le gouvernement nous dit qu’il n’a pas de sous, mais où est passé l’argent des mines ? Pourquoi dépense-il autant en voyages à l’étranger ? Pourquoi ne baisse-t-il pas les prix de l’électricité et de l’eau ?“. Des voix s’élèvent pour dénoncer l’embourgeoisement des anciens membres de l’opposition devenus ministres.
“Regardez tous ces gamins qui ne font rien de leur journée, ils ont leurs diplômes mais il n’y a pas de travail”, s’exclame Peter en montrant du doigt un groupe de jeunes assis au bord d’une rue minée de nids-de-poule de Highfield, une banlieue pauvre de la capitale. Lui touche une pension de 50 dollars par mois pour son arrêt-maladie. Sa femme n’a pas de travail. Il a deux enfants. “Je mange deux fois par jour, le matin du porridge avec un peu de pain et le soir de la sadza (bouillie de maïs) avec quelque légumes, détaille-t-il. La viande, c’est trois fois par mois.” S’il veut avoir de l’eau courante, il doit se lever avant 5 heures du matin. Après, les robinets sont secs jusqu’à 22 heures.