A 53 ans, dont vingt-deux comme cliente de sa Caisse d’épargne de Rouvroy, une petite commune de 9 000 habitants du Pas-de-Calais, Janine M. n’en revient pas. Elle vient de recevoir, avec son relevé de compte, un courrier comminatoire par lequel son banquier lui enjoint de fournir, d’ici au 15 avril, la preuve de son identité, des détails sur sa profession et ses revenus, ses dernières fiches de paie, son avis d’imposition.
“Quand même, réagit-elle, choquée, ils me connaissent ! J’ai mon compte à la Caisse d’épargne depuis 1988, un Livret A depuis ma naissance. Et mon mari et moi, on est des bons clients. On n’a jamais été fichés. On a toujours payé la maison. C’est indiscret. Surtout qu’on n’a pas fait de demande de prêt, rien. Je n’ai pas l’intention de répondre.” Comme Janine M., des dizaines de milliers de clients de banques françaises reçoivent actuellement de bien étranges courriers, qu’ils accueillent avec les mêmes sentiments mêlés de vexation et d’indignation.
En fait, confrontés à des règles et des lois renforcées en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et à l’obligation de connaître leurs clients, les établissements financiers (Caisses d’épargne, Crédit agricole, BNP Paribas, etc.) ont lancé, depuis plusieurs semaines, une vaste opération de collecte de données personnelles.
Cette démarche, inédite, serait restée confidentielle si les banques avaient limité leur champ d’investigation à leurs nouveaux clients, pour lesquels les vérifications d’identité n’auraient pas été réalisées ou seraient incomplètes. Et si, surtout, elles n’avaient employé des méthodes aussi différentes d’un établissement à l’autre pour satisfaire à des obligations réglementaires pourtant strictement identiques.
“Certaines banques s’en tiennent à la demande de pièces d’identité, de justificatifs de domicile et d’activité économique, ce qui est légal si elles ne disposent pas de ces documents. Mais d’autres exigent des informations très précises sur le patrimoine des clients, leur famille, sans les informer de ce qui est réellement obligatoire, ni s’ils encourent des sanctions s’ils ne fournissent pas les renseignements demandés,” observe Isabelle Faujour, directrice juridique adjointe à l’UFC-Que choisir.
Démarche “illégale”
Pour Mme Faujour, les nombreux courriels qui parviennent à l’UFC-Que choisir, via ses antennes régionales, laissent à penser qu'”il y a un réel problème” et que “la vigilance est de mise.” D’autant que certaines banques pratiquent ostensiblement le mélange des genres, profitant d’une démarche à but réglementaire pour recueillir des informations de nature commerciale et alimenter leurs fichiers.
C’est le cas de la Caisse d’épargne d’Ile-de-France, qui, sur le même document intitulé “Les normes bancaires sur la connaissance du client,” demande – en sus de la pièce d’identité (carte nationale d’identité, passeport ou titre de séjour) et des justificatifs de domicile (de moins de trois mois) et de revenus – la situation familiale de ses clients, leur profession précise, leur nombre d’enfants à charge avec leurs noms et dates de naissance.
En guise d’incitation à répondre, et au risque d’accroître la confusion, l’établissement joint à sa demande un bon de participation à un “tirage au sort pour gagner cinq séjours gourmands” dans un château : “Qui n’a pas rêvé de mener un jour la vie de château ?” dit l’encart publicitaire visible sur la lettre.
Qualifiant cette démarche d’intrusive, voire, dans certains cas, d’illégale, certaines associations de consommateurs comme l’Association française des usagers des banques (AFUB) – l’une des plus virulentes en matière d’abus bancaires – menacent déjà d’une action contre “les contrôles bancaires abusifs.” Elles s’interrogent sur l’utilisation qui sera faite des données ainsi réunies, craignant notamment qu’elles n’entraînent le fichage des mauvais clients. Sur ce point, la loi est claire : les données sont soumises au secret bancaire et ne peuvent être conservées au-delà de cinq ans après la clôture d’un compte.
Cependant, là encore, certaines clauses sur les récents courriers des banques interpellent, comme cette mention, écrite en caractères minuscules, de la Caisse d’épargne d’Ile-de-France : “Sauf opposition de votre part, nos prestataires pourront être conduits à traiter ces informations à notre profit exclusif dans le cadre d’opérations commerciales.” Ou cette autre du Crédit agricole Val-de-France : “Vous autorisez expressément à partager les données vous concernant avec toute entité du groupe (…) ainsi qu’avec tout tiers (…) pour l’exécution de travaux confiés à des prestataires de services.“
Alors, trop curieuses, les banques françaises ? La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) indiquait, mardi 16 mars, avoir déjà reçu une vingtaine de plaintes de particuliers au sujet de ces contrôles bancaires.