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LA BATAILLE DU TEXEL, OU LE PAIN DE LA FRANCE

L'île du TexelLa bataille navale du Texel  a lieu le 29 juin 1694, au large de l’île néerlandaise du Texel (Pays-Bas), pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg.  Elle oppose une petite escadre de corsaires dunkerquois commandée par Jean Bart à un groupe de navires de guerre hollandais commandé par le contre-amiral Hidde Sjoerds de Vries. L’enjeu est de reprendre une flottille de 60 navires chargés de blé, flottille précédemment capturée par les Hollandais. Jean Bart parvient à reprendre 30 navires.  II s’agit d’un combat héroïque contre un adversaire supérieur en nombre, et aussi d’un combat vital dont l’enjeu, en période de famine, était simplement de reprendre de quoi faire du pain.

La Bataille du Texel est, pour Dunkerque, ses corsaires, et tous ses habitants, un sujet de fierté. L’enjeu n’était pas un territoire ou une vaine gloire. C’est pour le pain de la France que l’on s’est battu, on tient à le souligner dans le petit peuple qui vit difficilement.

La victoire impressionne et fait sortir le blé des greniers des spéculateurs, ce qui démultiplie son importance économique.

C’est aussi le début d’un immense respect du Roi Louis XIV pour Jean Bart et, à travers lui, pour Dunkerque.

On peut dire que c’est la bataille du Texel qui rattache vraiment, par les liens du cœur, Dunkerque à la France, alors même que cette ville, à cette époque, n’a aucune raison de se sentir spontanément française. La langue qu’on y parle est le flamand. La ville a été longtemps bourguignonne, puis espagnole. Elle a ensuite été très disputée et a changé de mains de multiples fois ; à cette occasion, les armées françaises y ont commis autant de cruautés que les autres ; de plus, les intérêts ne convergent que laborieusement entre le corsaire dunkerquois et les autorités maritimes françaises. Mais, après la bataille du Texel, il n’y a plus de discussions à Dunkerque. Le petit peuple dunkerquois se sent français, parce qu’il a apporté son pain au petit peuple de France et que le Roi l’a reconnu en recevant Jean Bart à Versailles avec tous les honneurs.

Le récit de la bataille

LES CORSAIRES DUNKERQUOIS

Les corsaires dunkerquois sont d’abord au service de l’Espagne pendant la Guerre de Quatre-Vingt Ans (1568-1648 ; guerre d’indépendance des Provinces-Unies), et ils constituent le poste avancé du monde catholique aux frontières des Provinces-Unies protestantes. Dunkerque cesse définitivement d’être espagnole en 1658 ; après une période chaotique, elle devient définitivement française en 1662.  Jean Bart en est la figure emblématique de cette période française.

Article détaillé

LE CAPITAINE PREVILLE

” … Quelques jours plus tard la Magdeleine, un vaisseau français qui croise près de la rade de Dunkerque, tombe sur l’avant-garde hollandaise, que l’on croyait encore à des milles. Et se fait surprendre par un brûlot, l’un de ces navires kamikazes qui s’accrochent aux flancs de celui qu’ils veulent couler. Trop tard pour s’en séparer. Le capitaine de la Magdeleine, un certain Préville, n’hésite pas longtemps : puisque le navire est perdu, sauvons l’équipage, les bons marins sont rares. Sabre entre les dents et hache d’abordage à la ceinture. ils se jettent tous à l’eau. Objectif : le Dordrecht, un navire hollandais, pas trop lointain. Et pas trop élevé sur l’eau. Ils l’atteignent presque tous, en dépit des salves de mousquetterie qui saluent leur approche.

Pas trop dures quand même, car le commandant du Dordrecht se demande si ces Français-là, tout armés qu’ils soient, ne cherchent pas simplement à se rendre. Ils laissent d’ailleurs planer le doute. Ce qui leur permet de se hisser sans trop de peine sur le pont, même si quelques Hollandais coupent à la hache les rares cordages qui pendent le long de la coque, jettent pierres et boulets sur les marins de la Magdeleine, tirent presque à bout portant sur ces hommes trempés et essoufflés qui grimpent comme des singes et finissent par surgir parmi eux, ivres de désespoir, fous animés d’une folle ambition : se rendre maîtres de ce navire.

Ils jouent leur peau, Préville, leur capitaine, en tête, déjà blessé gravement, qui frappe d’estoc et de taille. Ils jouent leur peau et ils vont la perdre. Les autres sont décidément trop nombreux et mieux armés. Alors, la chance : un autre vaisseau français, la Reine, passe par là. Et son capitaine, autre chance, comprend ce qui se passe. Il fonce sur le Dordrecht, l’aborde, se lie à lui par grappins, chaînes et cordages, et lance ses soldats au secours de l’équipage de la Magdeleine. Au tour des Hollandais d’être encerclés par plus nombreux et mieux armés. Plus question de jouer du pistolet, encore moins du mousqueton ou de l’espingole (fusil court à canon évasé que l’on charge de chevrotines) : sur ce pont encombré d’autant de cadavres que de vivants, on se presse désormais corps contre corps, on se tue au poignard, à la hache et au couteau. Et, tandis qu’au loin sautent la Magdeleine et le brûlot, les marins et les soldats du Dordrecht cèdent enfin, les couleurs françaises remplacent au sommet du grand mât celles des Provinces-Unies, on compte les morts et l’on panse les plaies. Quand on le peut. Car le capitaine Préville est si gravement blessé qu’il ne peut être soigné par le chirurgien du bord – également barbier sans doute, qui opère sans anesthésiant (au rhum ou au genièvre…) dans des conditions déplorables et, contrairement à ce que l’on pense, réussit parfois des prodiges. On ramène dare-dare l’officier à Dunkerque. Il y mourra quelques jours plus tard, le 26 juin 1673.

Et beaucoup, qui l’ignoraient encore, découvrent alors avec stupéfaction que ce valeureux guerrier était une femme.”

Extrait de Jean Bart, par Jacques Duquesne, éditions du Seuil, 2002.


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