Alors que ses précédentes mesures n’avaient pas prouvé leur efficacité, Barack Obama a présenté vendredi 26 mars 2010 un plan visant à enrayer les saisies de logement : 14 milliards de dollars supplémentaires pour permettre aux emprunteurs en difficulté de refinancer leurs prêts et prévenir les défauts de paiement.
Arrêtez les saisies”, “Laissez les familles dans leur maison”. Portées à bout de bras par une cinquantaine de personnes, les pancartes fleurissent devant l’agence locale de la Bank of America, à Antioch. Dans cette ville-dortoir située au nord de San Francisco, l’association caritative CCISCO (Contra Costa Interfaith Supporting Community Organization) lançait en septembre dernier sa campagne contre les saisies immobilières. “Nous sommes en colère et voulons que les banques nous rendent des comptes, affirme Apolonio Morales, porte-parole de l’association. Le gouvernement a donné des milliards aux banques pour que les familles puissent rester chez elles. Mais on ne voit pas de différence. Les banques ne bougent pas, elles ne renégocient pas les prêts de ceux qui peuvent y prétendre. “
Dès 2007, avant la crise, beaucoup des emprunteurs les plus pauvres étaient déjà dans l’impossibilité de rembourser les crédits subprime qu’ils avaient contractés, perdant du coup leurs logements [1]. Mais aujourd’hui, ces difficultés touchent beaucoup plus largement les Américains, surtout depuis que le chômage a monté en flèche. Tant que la situation continuera de se dégrader sur ce plan, il sera difficile de faire repartir vraiment la machine économique outre-Atlantique, dans un pays où 70% des gens sont propriétaires de leur logement (contre 57% en France), au prix le plus souvent d’un lourd endettement.
L’administration Obama a déjà pris un certain nombre de mesures, mais celles-ci se sont révélées jusqu’à présent insuffisantes. Explications.
L’association CCISCO est basée dans le comté désolé de Contra Costa (Californie). Depuis le début de la crise, plus de 6 000 maisons y ont été saisies par les banques et à peu près autant risquent encore de l’être. Antioch figure parmi les villes les plus durement touchées, avec 926 maisons saisies et 1 060 menacées. Dans la foule, une mère de famille prend la parole. Depuis juin 2008, Carmen Hernandez, son mari Marco et leurs deux enfants sont menacés de subir ce sort. Marco a perdu son emploi début 2008 et enchaîne les petits boulots depuis. La famille n’a plus réussi à assurer les remboursements de son prêt immobilier. “En mars 2009, nous avons fait une demande de modification de notre prêt. En juin puis en juillet, notre maison a été mise deux fois aux enchères, et deux fois nous avons dû nous battre pour stopper la vente.” Le couple obtint alors un sursis et une offre de la Bank of America: la réduction de leurs mensualités à 1 400 dollars avec un taux d’intérêt de 2,8%, soit 34% des revenus de la famille. “Mais contrairement aux promesses de la banque, l’offre n’incluait pas l’assurance et les taxes de propriété. Et si vous ajoutez ça aux remboursements, le montant à payer chaque mois reste trop élevé pour nous“, soupire Carmen.
Le cas de Carmen Hernandez n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. Selon le site Internet Moody’s Economy, 1,7 million de maisons et d’appartements ont été saisis en 2008 aux États-Unis; ce nombre est monté à 2 millions en 2009 et près de 2,4 millions de saisies sont encore attendues pour 2010. En moyenne, un crédit immobilier sur huit reste impayé. En 2009, quatre États ont regroupé plus de la moitié des saisies immobilières du pays: la Californie, la Floride, l’Arizona et l’Illinois. Le troisième trimestre 2009 avait vu la vague des saisies atteindre des villes plus petites et des banlieues réputées moins menacées. Et même si la société d’études RealtyTrac notait, au quatrième trimestre 2009, une baisse de 7% du nombre de saisies par rapport au trimestre précédent, leur nombre restait supérieur de 18% à ce qu’il était à la même période de 2008. Bref, “malgré tous les efforts entrepris pour aider les petits propriétaires à éviter l’expulsion, le niveau de saisies immobilières reste très élevé dans de nombreux États comparé à l’année dernière“, constatait James Saccacio, le PDG de RealtyTrac, dans un communiqué de presse.
Début 2009, les banques avaient réussi à stopper un projet de loi soutenu par les démocrates et les associations de consommateur (dont CCISCO) qui donnait aux juges le pouvoir de modifier les termes d’un prêt quand l’emprunteur n’était plus en mesure de rembourser. Selon ses promoteurs, cette loi aurait permis de réduire les saisies de 20%. Mais le projet n’a pas passé la barrière du Sénat. Faisant dire à Dick Durbin, sénateur de l’Illinois qui le présentait devant la haute assemblée: “Les banques possèdent cet endroit.“
Les sans-abri, l’autre facette des saisies
Le programme Making Home Affordable, lancé parallèlement en mars 2009 par l’administration de Barack Obama dans le cadre de son plan de relance géant, avait cependant suscité de grands espoirs. Doté de 75 milliards de dollars, il devait aider 7 à 9 millions de petits propriétaires en difficulté. Il se décomposait en deux programmes principaux. Le premier, le Home Affordable Refinance Program (HARP), avait été conçu pour aider les propriétaires qui parviennent encore à rembourser leurs mensualités mais dont le capital dû dépasse désormais la valeur de leur maison du fait de la baisse des prix immobiliers. En cas de coup dur, il ne leur suffit donc plus de vendre pour pouvoir rembourser leurs dettes. Le HARP les aide à refinancer à un taux plus favorable les emprunts qu’ils détiennent auprès des organismes de refinancement hypothécaire, Freddie Mac et Fannie Mae, dont le gouvernement s’est engagé à couvrir les pertes financières jusqu’en 2012.
Le second programme est le Home Affordable Modification Program (HAMP). Il est destiné aux emprunteurs qui n’arrivent plus à rembourser leurs mensualités et sont donc directement menacés de saisie immobilière. Il vise à réduire les mensualités des particuliers en difficulté, de façon à leur permettre de conserver leurs maisons: si les banques et les organismes de crédits modifient le prêt et réduisent les remboursements mensuels des emprunteurs à 31% de leurs revenus, le gouvernement leur verse une prime annuelle de 1 000 dollars pendant trois ans. Une autre prime de 1 000 dollars est également versée pendant cinq ans à chaque emprunteur à condition qu’il respecte son planning de remboursement. Avant que la modification du prêt bancaire ne soit définitive, les emprunteurs sont toutefois mis à l’épreuve pendant trois à cinq mois. Durant ce délai, ils doivent prouver qu’ils arrivent à payer leurs mensualités à temps selon les nouvelles conditions du prêt.
Au 1er septembre, le HARP avait aidé à refinancer les crédits de 95 729 propriétaires. Quant au HAMP, il a été long à démarrer: à la mi-février, 946 735 propriétaires se trouvaient certes dans la période de mise à l’épreuve du HAMP, mais seulement 116 297 avaient déjà pu accéder à une modification de prêt permanente. Devant la lenteur du processus et la poursuite des expulsions, l’action de l’administration Obama est de plus en plus décriée et l’iniative considérée comme un échec. Un avis partagé par le Congressional Oversight Panel (COP), une commission de contrôle composée de cinq représentants démocrates et républicains, qui a publié un rapport très critique à l’automne dernier : “Le plan mis en place par le gouvernement américain pour lutter contre la crise des saisies immobilières semble incroyablement inadapté et devrait être revu, élargi et complété par de nouvelles mesures.” Et de pointer du doigt trois faiblesses principales.
Tout d’abord, le HAMP est trop lourd. La nécessité de parvenir à un accord entre le ministère du Budget et les banques sur chaque dossier entraîne des délais trop longs. Selon le COP, nombre de propriétaires éligibles pour ce programme auraient perdu leurs maisons avant même que le HAMP n’ait pu les aider. De plus, les réductions de mensualités ne sont que temporaires et pour beaucoup de propriétaires, celles-ci augmenteront à nouveau dans cinq ans. Ces aménagements ne permettront donc probablement pas aux propriétaires de retrouver une stabilité financière sur le long terme. Enfin, et surtout, le champ d’application du HAMP est trop limité: “ [Il] n’a pas été conçu pour combattre des saisies découlant du chômage, alors que c’est pourtant aujourd’hui la cause centrale des défauts de paiement.” En effet, le chômage touche désormais quasiment 10% des Américains, mais un emprunteur au chômage n’est pas éligible pour une modification de son prêt!
Le programme est aussi limité en ce qui concerne les formes de crédits couvertes: il ne prend pas en compte en particulier les crédits dits “à option”, prochaine grande cause de saisies. La crise de l’immobilier est passée par trois phases successives. Au début, les saisies résultaient principalement des crédits subprime; dans la phase actuelle, les saisies touchent les propriétaires qui ont contracté un crédit classique mais ont perdu leur emploi; la troisième phase qui démarre juste sera liée aux options Adjustable Rate Mortgages (ARM). Ces prêts laissent le choix à l’emprunteur du montant à payer chaque mois lors des cinq premières années du remboursement.
“Avec ce type de crédit, en choisissant de rembourser une faible somme chaque mois, on en vient à payer encore moins que les intérêts. Et au lieu de baisser, le capital dû augmente. Jusqu’au moment où les banques font ce qu’on appelle un recasting et forcent les gens à rattraper le montant dû“, explique Kevin Stein, directeur associé de California Reinvestment Coalition, un groupe de défense des petits propriétaires. La plupart de ces crédits ont été vendus entre 2004 et 2007. “Ces prêts arrivent à échéance maintenant et si rien n’est fait, on risque 10 à 12 millions de saisies supplémentaires dans les années à venir, s’alarme Kevin Stein. A défaut d’autres clients, les prêteurs et courtiers ont vendu ces crédits à option à des gens à peine capables de supporter le prix d’une maison et qui n’auraient pas pu souscrire à un crédit traditionnel”. Bref, “il apparaît de plus en plus clairement que le HAMP était une arme adaptée à la crise telle qu’elle se présentait début 2009, bien plus qu’à la situation actuelle“, conclut le COP.
Du coup, le gouvernement a lancé fin 2009 le Foreclosure Alternatives Program (FAP). Prévu pour démarrer en avril 2010, ce programme sera ouvert à tous ceux qui, éligibles pour le HAMP, n’ont pas réussi à obtenir une modification de prêt permanente. Les familles endettées devront cette fois renoncer à leur maison et la vendre à perte. Il s’agit de ce qu’on appelle le “short sale”: en vendant en accord avec leur banque, elles se libéreront de leur dette. Le FAP dédommage les banques à hauteur de 1 000 dollars et les familles reçoivent 1 500 dollars pour les aider à se reloger.
Traîner les banques en justice ?
De même pour inciter les administrations locales à trouver de nouvelles solutions contre les saisies, Barack Obama a créé le mois dernier un fonds de 1,5 milliard de dollars pour cinq Etats particulièrement touchés par la crise (Nevada, Arizona, Californie, Floride et Michigan). Cette aide est essentiellement destinée aux propriétaires au chômage ou “sous l’eau”, qui parviennent pour l’instant à rembourser leurs prêts mais dont la dette est supérieure à la valeur de leur maison. “Aujourd’hui, affirmait le COP à l’automne dernier, un tiers des crédits sont sous l’eau. Et si le marché de l’immobilier continue à baisser, des experts estiment que la moitié des crédits excéderont la valeur réelle de la propriété.“ Mais le FAP pourrait inciter davantage de personnes à vendre, faisant de nouveau plonger les prix. Or, comme le rappelle l’économiste Mark Zandi, de Moody’s Economy, “l’économie n’arrivera pas réellement à redémarrer tant que la crise des saisies immobilières ne sera pas finie et que le prix de l’immobilier ne sera pas stabilisé“.
– Dossier sur la crise des saisies immobilières, du New York Times, accessible sur http://topics.ny times.com/top/reference/timestopics/subjects/f/fo reclosures/index.html
– “An Assessment of Foreclosure Mitigation Efforts After Six Months“, Congresionnal Oversight Panel, octobre 2009, accessible sur http://cop.senate.gov/documents/cop-100909-report.pdf
– “Foreclosure to Homelessness 2009“, National Coalition for the Homeless, juin 2009, accessible sur www.nationalhomeless.org/advocacy/Foreclosureto Homelessness0609.pdf