Plus fort que George Soros ! Après avoir fait une « culbute » de 15 milliards de dollars en pariant sur la crise de l’immobilier, le « sultan des “subprimes” » mise aujourd’hui sur la flambée de l’or et le retour de l’inflation. Son fonds Paulson & Co. a été pointé du doigt parmi les « spéculateurs » qui auraient parié contre l’euro et la dette grecque. Fantasme ou réalité ?
Dans le jargon de Wall Street, on appelle cela un « dîner d’idées » ( « ideas dinner ») où l’on jette des pistes d’investissement en pâture. Celui du 8 février, qui s’est tenu à la Park Avenue Townhouse, dans l’Upper East Side, à l’initiative de la firme de courtage Monness, Crespi, Hardt & Co, a déjà fait couler pas mal d’encre. Beaucoup trop, selon l’entourage du milliardaire new yorkais John Paulson, fondateur de Paulson & Co, qui se retrouve aujourd’hui sous la lorgnette du Département américain de la Justice, au même titre que le fonds de George Soros, Soros Fund Management LLC, SAC Capital Advisors LP, ou Greenlight Capital, pour le simple fait d’avoir débattu entre eux de la possibilité de « shorter l’euro. »
En d’autres termes, de parier sur la baisse de la monnaie européenne sur le marché des devises. Encore faudrait-il pouvoir prouver la « collusion » en question. A cinquante-quatre ans, le « sultan des “subprimes” » va devoir s’habituer à jouer les « bouc-émissaires. » C’est la rançon du succès.
Visionnaire
Partenaire privilégié de Goldman Sachs, comme la plupart des gros « hedge funds », l’homme qui a fait gagner 15 milliards de dollars à son fonds en jouant sur la crise de l’immobilier en 2007, se retrouve soupçonné, avec d’autres, d’avoir contribué à faire trembler l’euro en pariant sur la crise grecque. « Contrairement à George Soros, John Paulson ne prend pas des paris directionnels sur les monnaies, » se défend son entourage en balayant le « fantasme » d’une attaque concertée contre l’euro, évoquée par un article du « Wall Street Journal » du 26 février, à la base des investigations du ministère de la Justice. Pour les régulateurs et les politiques européens, qui réclament un surcroît de vigilance sur les ventes à découvert des « hedge funds » et le « fléau des Credit-default swaps (CDS), » la « star » de la gestion alternative est une cible tentante. Après avoir engrangé des milliards en pressentant la « crise du subprime » dès 2005, le financier américain n’a-t-il pas doublé en un an son propre patrimoine personnel, de 6 à 12 milliards de dollars, selon le dernier classement « Forbes » 2010 ?
Consulté comme un « oracle » par les sénateurs américains et même par certains responsables politiques européens -comme l’ex-ministre du Budget, Eric Woerth qui l’a rencontré à Paris -, vénéré par ses pairs, l’homme qui a vu la crise avant tout le monde, dispose aujourd’hui d’une puissance de feu de 32 milliards de dollars, à travers sa galaxie de fonds (Advantage, Advantage Plus, Recovery Fund, Credit Opportunities…), ce qui en fait le 3 e fonds au monde derrière JPMorgan Chase & Co. et Bridgewater Associates LP.
Arrière petit-fils d’un capitaine de la marine marchande norvégienne, Percy Thorn Paulsen, qui épousa la fille d’un ambassadeur français après s’être échoué sur les côtes de l’Équateur, John Paulson descend d’une longue lignée de « preneurs de risques. »
Avant de démarrer sa carrière comme consultant au Boston Consulting Group (BCG), puis comme banquier d’affaires chez Bear Stearns en 1984, John Paulson est sorti « Baker Scholar » de la Harvard Business School, la « crème » de la MBA Class qui est un peu l’équivalent du corps des Mines en France. En 1988, il rejoint Gruss Partners, la firme d’arbitrage de matières premières de Joseph Gruss, un financier d’origine polonaise qui a fait fortune dans l’exploration pétrolière au Texas, avant de créer son propre fonds en 1994. En 2003, Paulson & Co. affiche 700 millions de dollars d’actifs sous gestion après avoir spéculé sur la dette de compagnies comme Enron, Worldcom ou ATT Canada. Il renonce à sa vieille Jaguar et commence à collectionner les gouaches de Calder. Sa spécialité devient rapidement l’arbitrage de « situations spéciales » (« event driven »), où le gestionnaire recherche des opportunités générées par des fusions ou des faillites.
Mais son gros coup, Paulson va le réaliser en 2007. Lors de la première faillite du courtier immobilier New Century Finance, les positions de son fonds spécial Credit Opportunities commencent à exploser à la hausse, pour finalement progresser de 500 % sur l’ensemble de l’année. Derrière ses prises de positions audacieuses sur le marché des CDS, il y a aussi la patte d’un mathématicien italien de génie, Paolo Pellegrini, un ancien de Harvard et de Lazard que John Paulson a déjà croisé chez Bear Stearns. C’est lui qui a contribué à mettre à jour la « Pierre de rosette » de la bulle immobilière qui permettra à Paulson de réaliser le « plus grand pari financier gagnant de l’histoire financière » (1). Mais faute de reconnaissance suffisante, le champion du CDS quittera Paulson & Co. en janvier 2009, après avoir fait un carton sur son portefeuille personnel, pour créer son propre fonds baptisé PSQR (anagramme de l’emblème de l’Empire romain).
Le nouveau Warren Buffett ?
« Il a tout vu de la crise en pariant sur la baisse du prix des logements » assure un de ses concurrents new-yorkais, persuadé qu’ « il est devenu beaucoup trop important pour s’intéresser à la dette grecque. » D’autres voient déjà en lui le « futur Warren Buffett » depuis qu’il a pris des positions significatives dans le capital de Bank of America (11,7 %), Citigroup (8,5 %), Wells Fargo ou SunTrust. Il prévoit que le cours de la première va doubler en deux ans du fait de la diminution de ses provisions pour risques. « Si Paulson n’avait pas existé, on n’aurait jamais pu recapitaliser Bank of America qui aurait fait faillite, » assure un de ses proches, soulignant au passage la caution de l’ancien patron de la FED, Alan Greenspan, qui siège au conseil de surveillance de son fonds depuis janvier 2008.
En Europe, John Paulson a aussi racheté 2 % du capital de Renault. Invité au dernier gala annuel de la French-American Foundation en novembre 2009, il a rendu un hommage appuyé à Carlos Ghosn, « le patron français le plus admiré dans le monde, » en lui remettant lui-même le Prix Benjamin Franklin. « En dehors du fait d’être un excellent investisseur, il a un talent inouï pour expliquer d’une façon limpide les transactions les plus compliquées et aller à l’essentiel, » observe Antoine Bernheim (homonyme du patron de Generali), fondateur de Dome Capital et vétéran de l’industrie des « hedge funds » à New York. « Quand vous écoutez une présentation de Paulson, vous ne pouvez pas ne pas être convaincu. » A la différence d’un George Soros, John Paulson a essentiellement investi jusqu’ici sur le marché américain. Il a commencé toutefois à intervenir sur les marchés des devises, de l’or et du pétrole. « Il a sans doute pris des positions opportunistes sur le marché des CDS, mais l’idée qu’il ait voulu spéculer sur la dette grecque relève du pur fantasme, » estime Antoine Bernheim. « Cela n’a pas de sens. Le marché des CDS représente seulement 20 % du montant global de la dette grecque (400 milliards d’euros). »
Le retour de l’inflation
Pur fantasme ? D’autres experts en sont moins sûrs. Selon le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, « même si elle semble reculer, l’attaque spéculative des hedge funds contre la Grèce n’en soulève pas moins des questions sur ses similarités avec celle qui a visé la monnaie de Hong Kong il y a douze ans. » A charge, pour la division antitrust du Département américain de la Justice qui a demandé, dans une lettre du 26 février, aux fonds concernés de conserver la trace de leurs transactions et leurs échanges d’e-mails relatifs aux opérations suspectes sur l’euro, de démêler le fantasme de la réalité.
Agacé par la « mauvaise presse » des « hedge funds » dans les milieux européens, souvent basée selon lui sur une méconnaissance de l’industrie, John Paulson est déjà sur d’autres fronts. Son dernier grand pari ? La montée du prix de l’or et le retour de l’inflation. Après avoir lourdement investi dans AngloGold, Kinross Gold et Gold Fields, le « sultan des “subprimes” » a injecté 250 millions de dollars dans un fonds spécialement conçu pour investir dans les mines d’or, créant au passage une classe d’actions libellées en or. Face à l’explosion du bilan de la Réserve fédérale, qui a bondi de 140 % en quelques mois, c’est-à-dire une masse monétaire qui a plus que doublé, il est persuadé que le retour à une inflation importante est inéluctable.
Dans cette hypothèse, l’or ne peut que s’envoler, devenant, de facto, la principale monnaie de réserve face au déclin du dollar et de l’euro. Dans l’absolu, des opportunités d’investissement existent aussi pour Paulson sur le Vieux Continent. Son entrée au tour de table de Renault le prouve. Mais le financier aimerait que les politiques européens cessent de diaboliser les « hedge funds. » Une séance de « pédagogie » avec Nicolas Sarkozy, arrivé hier aux États-Unis, aurait même été envisagée par certains de ses conseillers.
Le parcours du « sultan des “subprimes” »
Né à New York en 1955 1980 : Sorti « George F. Baker Scholar » de Harvard Business School (qui récompense les meilleurs élèves de la promotion). Démarre sa carrière au Boston Consulting Group (BCG) 1982 : rejoint la firme d’investissement Odyssey Partners de Leon Levy et Jack Nash. 1984 : rejoint Bear Stearns, comme Managing Director en charge des fusions-acquisitions. 1988 : devient associé de la société Gruss Partners, spécialisée dans l’arbitrage de fusions. 1994 : crée son propre fonds spéculatif Paulson & Co à New York. Avril 2005 : commence à « shorter » les crédits immobiliers à haut risque « subprime » à travers l’utilisation de « credit default swaps » (CDS). Fin 2007 : réalise le plus gros profit de l’histoire des transactions financières en faisant gagner 15 milliards de dollars à ses fonds après l’explosion de la « bulle immobilière. » Novembre 2009 : crée un fonds spécialisé dans les mines d’or et les investissements liés à l’or. 2010 : la galaxie des fonds Paulson gère 32 milliards de dollars d’actifs.
(1) Pour un récit et une explication détaillée de son utilisation des contrats de CDS, lire la biographie de John Paulson par Gregory Zuckerman, « The Greatest Trade Ever », Broadway Books, 2009.