Dans l’histoire de l’aviation civile, jamais autant d’avions n’ont été cloués au sol pour cause d’activité volcanique. Mais dans l’histoire de l’humanité, ce n’est pas la première fois qu’un volcan crée le chaos en crachant dans le ciel des tonnes de cendres.
L’oeuvre du peintre William Turner, influencée par l’éruption du Tambora
Les cratères de Laki (en islandais Lakagígar) sont situés dans le sud de l’Islande dans la proximité de l’Eldgjá. La ligne de cratères de Laki fait partie du même système volcanique que le Grímsvötn auquel elle est rattachée.
Entre les glaciers Mýrdalsjökull et Vatnajökull, il y a une zone de fissures en direction sud-ouest à nord-est. Cette région, à laquelle Eldgjá appartient aussi, produisit une masse de lave qui représente un record mondial. Sur une distance de 25 km, on trouve 130 cratères qui émirent 14 milliards de m3 de lave basaltique, d’acide fluorhydrique et de dioxyde de soufre, entre 1783 et 1784, causant l’éruption volcanique la plus importante des temps historiques, avec des conséquences catastrophiques pour l’Islande et de très importantes perturbations météorologiques en Europe.
Le 8 juin 1783, une fissure avec 130 cratères s’ouvrit de manière explosive d’abord à cause de l’interaction entre le plancher sous-marin et la poussée de magma basaltique. Ensuite l’éruption devient moins explosive, passant d’un mode plinien à un mode strombolien puis plus tard à un mode hawaïen avec des niveaux élevés d’effusion de lave. Cet évènement est classé de niveau 4 sur l’échelle d’explosivité volcanique mais les 8 mois d’émission de gaz sulfurique provoquèrent une des plus importantes perturbations climatiques et sociales du dernier millénaire.
L’éruption se poursuivit jusqu’au 7 février 1784, mais la majorité de la lave fut éjectée dans les cinq premiers mois. Le volcan Grímsvötn, duquel part la fissure du Laki, était aussi en éruption de 1783 à 1785. L’épanchement de gaz, dont les 8 millions de tonnes de fluor et 120 millions de tonnes de dioxyde de soufre donna naissance à travers l’Europe à ce qui est connu sous le nom de « brouillard de Laki. »
L’éruption aussi connue sous le nom de Skaftáreldar (« feux de la rivière Skaftá ») ou Síðueldur, produisit environ 15 km³ de lave basaltique et un volume total d’ejecta de 0,91 km3. On estime que des fontaines de lave ont atteint des hauteurs de 800 à 1 400 mètres. Au Royaume-Uni, l’été de 1783 est connu comme l’« été de sable » à cause des pluies de cendres. Les gaz furent emportés par la convection de la colonne d’éruption à des altitudes de 15 km. Les aérosols créés provoquèrent alors un refroidissement dans tout l’hémisphère Nord.
Conséquences en Islande
Les conséquences pour l’île furent catastrophiques. Environ 21% de la population mourut de famine de 1783 à 1784. Environ 80% du cheptel de moutons, 50% du bétail, 50 % des chevaux moururent à cause de fluorose dentaire ou osseuse dues aux 8 millions de tonnes de fluor rejetées.
Le prêtre Jón Steingrímsson devint célèbre avec son eldmessa (« sermon de feu »). L’ensemble des habitants de Kirkjubæjarklaustur était réuni à l’église. Au même moment, la petite ville était menacée par une coulée de lave. Mais alors qu’ils étaient à l’église, la lave s’arrêta avant d’atteindre la ville.
Conséquences en Europe
On estime que 122 millions de tonnes de dioxyde de soufre furent émis dans l’atmosphère, l’équivalent de trois fois les émissions industrielles annuelles en Europe et l’équivalent d’une éruption comme celle du Mont Pinatubo en 1991 tous les 3 jours[7]. L’émission de dioxyde de soufre coïncidant avec des conditions climatiques inhabituelles provoqua un épais brouillard sulfuré qui se répandit à travers l’Europe occidentale, provoquant des milliers de morts durant 1783 et l’hiver 1784.
L’été de 1783 était le plus chaud enregistré et une zone inhabituelle de haute pression au-dessus de l’Islande firent que les vents soufflaient vers le sud-est. Le nuage empoisonné dériva vers Bergen en Norvège puis descendit sur Prague le 17 juin, Berlin le 18 juin, Paris le 20 juin, Le Havre le 22 juin et le Royaume-Uni le 23 juin. Le brouillard était si épais que les bateaux restèrent au port et que le soleil fut décrit comme « couleur sang. »
L’inhalation de ces gaz sulfurés provoqua une augmentation de la mortalité. En Grande-Bretagne, les archives indiquent que probablement le taux de mortalité doubla ou tripla au Bedfordshire, Lincolnshire et sur la côte orientale. Il a été estimé que 23 000 Britanniques moururent à cause du nuage en août et septembre 1783.
Le brouillard, chauffé par le soleil d’été, causa de violents orages avec d’importantes chutes de grêlons, tuant du bétail et ce, jusqu’à l’automne. L’hiver qui suivit fut particulièrement rude, Gilbert White de Selborne dans l’Hampshire rapporta 28 jours de gel continu. On estime que l’hiver extrême causa 8 000 décès supplémentaires au Royaume-Uni. Au printemps, l’Allemagne et l’Europe centrale connurent d’importantes inondations[9].
L’impact météorologique des éruptions de Laki se fit sentir les années suivantes avec plusieurs hivers très rigoureux en Europe. On a retrouvé des traces de récits où l’on racontait que les corbeaux gelaient en vol (cf campagne de Russie de Napoléon Bonaparte).[réf. nécessaire] La France connut une suite de situations météorologiques extrêmes avec une moisson exceptionnelle en 1785 provoquant une chute des prix des produits agricoles et une pauvreté dans les campagnes, suivies d’épisodes de sécheresse, de mauvais hivers ou étés, dont de très violents orages de grêle en 1788 qui détruisirent les récoltes. Cela contribua de manière significative à la pauvreté et à la famine, un des facteurs importants qui provoquèrent la Révolution française en 1789. Laki fut seulement l’un des facteurs de la décennie de perturbations climatiques, comme Grímsvötn qui était en éruption de 1783 à 1785 et une étude récente des modèles d’El Niño suggère un effet inhabituellement fort d’El-Niño entre 1789 et 1793.
Conséquences en Amérique du Nord
En Amérique du Nord, l’hiver de 1784 fut l’un des plus longs et des plus froids enregistrés. Ce fut la plus longue période de température négative en Nouvelle-Angleterre, la plus grand accumulation de neige dans le New Jersey et la plus longue période où Chesapeake Bay fut pris dans les glaces. On put faire du patin à glace au port de Charleston, une violente tempête de neige eut lieu dans le sud du pays et le Mississippi gela à la Nouvelle-Orléans et il y eut de la glace dans le golfe du Mexique.
Conséquences dans le reste du monde
Il existe aussi des preuves que l’éruption du Laki eut des conséquences au-delà de l’Europe. On constata une circulation affaiblie des moussons africaines et indiennes, conduisant à des anomalies de précipitations de 1 à 3 mm de moins que la normale par jour sur le Sahel avec parmi d’autres effets une baisse du débit du Nil.
Depuis 10 000 ans, aucune éruption n’a cependant eu l’ampleur de celle du Tambora, en avril 1815. Situé sur l’île indonésienne de Sumbawa, non loin de Bali, ce gigantesque volcan aurait alors émis dans l’atmosphère pas moins de 400 millions de tonnes d’aérosols (matières en suspension).
Pendant les deux années qui ont suivi, tout l’hémisphère nord a été touché de près ou de loin par ce phénomène. Porté par les vents dominants d’ouest en est, le nuage de particules a fait le tour de la planète à quelques reprises, déposant çà et là une couche de cendres aussi loin qu’en Amérique du Nord. Celle-ci est toujours visible, coincée entre deux couches de glace, lorsqu’on pénètre sous le glacier Durrand, dans les monts Selkirk, en Colombie-Britannique.
Puis, le ciel de l’Europe s’est plus ou moins voilé de poussière volcanique, ce qui eut pour effet d’abaisser la température d’un demi-degré, entraînant pluies glaciales, gel, perte de récoltes, famines et des milliers de morts, sur le Vieux-Continent. À Québec, il serait tombé près d’un pied de neige en plein mois de juin, en 1816. En Europe comme en Amérique du Nord, 1816 est d’ailleurs connue comme « l’année sans été. »
La seule résultante positive de l’éruption du Tambora, si l’on peut dire, ce sont les crépuscules irréels qui ont régulièrement empourpré les cieux d’Europe, comme en témoignent certains tableaux du peintre anglais William Turner, dont l’œuvre entière aurait été marquée par cette période, estiment quelques exégètes.
On s’attend d’ailleurs à ce que les mêmes lumineux phénomènes se reproduisent ce mois-ci, dans le ciel européen. Tout en souhaitant que là s’arrêtent les parallèles avec les épisodes de 1783 et 1816…
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