La Tribune publiait, la semaine dernière, un article sur l’évasion fiscale des géants de l’e-commerce, dont on peut retrouver un extrait ici. Les chiffres sont sans appel. Amazon déclare 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires au Luxembourg et… 25 petits millions en France. Google ne déclare que 40 millions pour 800 millions. Ebay aurait payé 33 euros d’impôts sur les sociétés en 2008, Amazon rien.
Cela montre une distorsion de concurrence très nette, entre ces géants américains basés au Luxembourg, en Irlande ou autres pays «low-taxes» de l’UE, et les opérateurs français, la FNAC en tête (concurrent direct d’Amazon). Plus, cela représente un manque à gagner de 400 millions d’euros pour l’Etat français et devrait représenter 1 milliard d’euros en 2014.
En effet, une directive de 2002 de la Commission européenne, dont le but était de favoriser le commerce électronique, a prévu une dérogation pour les services de radiodiffusion et de télévision et à certains services fournis par voie électronique. Cette dérogation dit que la TVA est établie dans le pays où la société est basée et ce, même si elle fournit un service ou livre un produit dans un autre pays de l’UE ; la TVA intracommunautaire ne s’applique pas. Ce principe ne devrait être abrogé qu’au 1er janvier 2015, par le «paquet TVA» de la communauté européenne.
La mise en œuvre de la monnaie unique européenne est un des grands œuvres du duo Kohl-Mitterrand. Le deal non-officiel est que la France a soutenu sans réserve la réunification allemande, en fermant les yeux sur des peurs vieilles d’un demi-siècle (et, également, la peur de laisser filer définitivement le leadership européen vers l’Allemagne), en échange de l’abandon du Deutsche Mark, qui a été douloureux symboliquement pour l’Allemagne.
La gestion de cette monnaie a été confiée à la BCE (basée en Allemagne) avec, pour seule règle, d’éviter l’inflation, et a été couplée aux fameux «critères de Maastricht» (3% de déficit et 60% de dette par rapport au PIB). C’est-à-dire, globalement, une politique monétaire forte, à l’allemande. L’ombre du Mark plane sur l’Euro, depuis sa création.
Quid de l’harmonisation des politiques budgétaires et fiscales, qui aurait dû précéder le lancement de l’Euro ? Impasse totale… C’est que Kohl et Mitterrand ont fait un pari. Pour eux, attendre d’harmoniser ces politiques dans des pays ayant autant de différences, tant économiques que culturelles, aurait stoppé la construction économique européenne. Constat certainement vrai. Alors, ils ont sciemment décidé de mettre la charrue avant les bœufs, en faisant le pari que l’avènement de l’Euro servirait de catalyseur à la nécessaire harmonisation.
Dix-huit ans après le Traité de Maastricht, ce pari, osé mais respectable, a toutes les allures d’un échec. L’harmonisation, notamment fiscale, n’a que très peu progressé. Les pays se sont livrés et se livrent encore une guerre fiscale fratricide, alors que l’Europe devait être un bloc économique homogène face aux USA et à la Chine.
L’Irlande, par exemple, a joué sur deux tableaux : elle a profité des aides européennes et a pratiqué à outrance le dumping fiscal. Las, elle est aujourd’hui en train de s’effondrer et de céder des pans de son économie à des pays plus accueillants (Dell pour la Pologne, par exemple). Elle périt par le glaive qu’elle a abondamment manié.
La fuite fiscale des géants du Net américain n’est qu’une illustration de cette faillite. Ceux-ci se sont très logiquement engouffrés dans les failles de la construction européenne, en profitant de cette hétérogénéité en plus renforcée par la directive de 2002, citée plus haut. L’Europe, qui devait faire bloc, est un gruyère.
La situation terrible de la Grèce, qui est entrée dans l’Euro en trichant et a persévéré dans une politique hors des critères, alors que les autres pays européens fermaient les yeux, est une autre illustration bien plus terrible de cet échec. Le pari de Mitterrand et Kohl est malheureusement en train d’être perdu … il n’est peut-être pas trop tard pour redresser la barre, mais l’issue est au moins très incertaine.