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Le rêve américain se meurt et, avec lui, le siècle de magistère sur le monde que l’Amérique s’était promise à elle-même, au nom d’une destinée manifeste qui n’est plus qu’une illusion dont il convient de se défaire, écrit Henry Allen, qui collabore au Washington Post depuis 39 ans et a obtenu en 2000 un prix Pulitzer pour son œuvre critique.

Le rêve se meurt.

Voici ce qu’il était : une croyance que le monde avait un amour particulier pour les Américains, pour notre ardente innocence, notre spontanéité un peu gauche, pour notre volonté de partager l’évidente et véritable lumière de la démocratie avec ceux qui se battent encore dans les ténèbres de l’histoire, pour notre énergie imprévisible, notre musique syncopée et nos sourires de joueurs de baseball. Ajoutez à cela la majesté de montagnes violettes et les frissons parcourant des blés couleur d’ambre, et vous voyez de quoi il s’agit [1].

Il est difficile de dire à quel moment précisément est né ce rêve. Est-ce avec le tour du monde de la Grande Escadre Blanche [2] de Teddy Roosevelt ? Avec la guerre menée par Woodrow Wilson afin de rendre le monde plus sûr pour la démocratie ? En 1940, Henry Luce, qui disait aux Américains chaque semaine dans « Time and Life » qui ils étaient, a proclamé « le siècle américain. » La Seconde Guerre mondiale l’a réalisé.

L’Amérique allait diriger le monde, non pas à son profit, mais – pour la première fois dans l’histoire – pour le bien de la planète.

Ce rêve est devenu le mien avec les bobines d’actualités et les pages du magazine Life, après la Seconde Guerre mondiale, lorsque j’ai vu les images des Français et des Italiens jetant des fleurs à nos troupes qui les libéraient des nazis, de GI rentant à la maison avec leurs fiancées européennes, d’enfants allemands au milieu de décombres, regardant le ciel et encourageant les avions américains qui leur apportaient de la nourriture durant le pont aérien de Berlin.

Né en 1941, j’étais encore très jeune, mais assez grand pour considérer que ces vérités allaient de soi : Nous n’avions pas conquis ; nous avions libéré. Nous étions toujours les bons, placés du bon côté. Malgré les récriminations à propos des Yankees incultes et grossiers, tout le monde, en secret, voulait vivre comme les Américains. Lorsque ces gens nous jetaient des fleurs, c’étaient nos amis, et non pas des collaborateurs, comme ces femmes françaises dont les villageois ont rasé la tête lorsque leurs petits amis allemands sont partis avant l’arrivée des Américains. Ces femmes sont restées sur place, bien sûr – personne ne voulait être une épouse de guerre de nazis dans l’Allemagne de l’après-guerre.

Ils ont perdu, nous avons gagné. Rien ne permet de se faire autant d’amis qu’une victoire totale, du genre de celles que nous n’espérons même plus. C’est ainsi qu’au Japon, frappé deux fois par la bombe, les jeunes gens ont adopté le baseball

Rêve merveilleux ! Il a subi quelques déconvenues, mais a survécu à notre échec en Corée, notre défaite totale au Vietnam, à notre retrait du Liban, à la catastrophe Somalienne du « Blackhawk Down. »

Il nous a survécu, alors que nous nous ridiculisions, quand notre sauvetage des otages en Iran a sombré dans le chaos la poussière du désert, sans un coup de feu de l’ennemi. Nous ne pûmes même pas ramener tous nos morts pour les enterrer.

Nous avons bombardé un hôpital psychiatrique à la Grenade, pendant que nous libérions le monde de quelque vague menace communiste. Nous avons bombardé une usine produisant de l’ibuprofène en Afrique, en représailles à une attaque contre notre ambassade à Nairobi. Nous avons bombardé l’ambassade de Chine durant notre guerre aérienne pour libérer le Kosovo. Le rêve a même survécu à George W. Bush, qui a déclenché une guerre pour débarrasser l’Irak des armes de destruction massive.

Il n’y avait pas d’armes, mais nous avons continué le combat pour sécuriser la démocratie en Irak et avons fini par des séances de torture de masse à Abou Ghraib, qui ont donné ces photos souvenirs si colorées de nos GI Joes et Janes. Les enfants irakiens jouent-ils déjà au baseball ?

Barack Obama a remporté l’élection présidentielle grâce à une campagne électorale promettant une meilleure guerre, encore plus grande, dans l’Afghanistan voisin. Comme toujours, obéissant au mandat du rêve américain, nous envahissons un pays sans aucune autre raison que son propre bien. C’est ce que les gens ne semblent pas comprendre.

Comme dans la vallée de Korengal, en Afghanistan, que les soldats américains ont abandonné mercredi dernier, cinq ans après l’avoir envahi pour y apporter la vérité, la justice et le modèle américain à des Afghans qui en retour nous ont haï.

Nous leur avons donné de l’argent, toutes sortes de friandises. Mais ils nous haïssaient.

Nous les avons suppliés de nous laisser construire une route qui les relierait au monde extérieur. Ils ont haï la route. Et puisque nous ne l’avions pas compris, ils ont fait exploser six ouvriers du chantier de construction de cette route.

Ils nous haïssaient à un point tel que nous avons dû les acheter – 23 000 litres de carburant et une grue – pour nous laisser partir, sans qu’ils nous tuent pour le plaisir.

Nous étions des étrangers. En fait, beaucoup de gens détestent les étrangers. (C’est pourquoi on les appelle les « étrangers. »)

Les gens n’aiment les étrangers que lorsqu’ils viennent en petit nombre pour dépenser de l’argent puis repartir ; ou lorsqu’ils viennent en armées, pour chasser d’autres étrangers encore plus détestés, puis repartent. J’ai pris un jour le thé avec la femme d’un chef de village indonésien. Elle se rappelait comment les Japonais avaient été acclamés pour les avoir libérés des néerlandais, jusqu’à ce qu’ils déportent les hommes dans des camps de travail. Ensuite, les iliens ont applaudi les Américains qui avaient chassé les Japonais.

Nous ne faisons pas l’objet d’un amour particulier. Nous avons nos propres vertus, et nous nous sommes rapprochés plus que toute autre nation de la réalisation de ce commandement de Jésus enjoignant d’aimer nos ennemis. Mais nous nous éveillons de ce rêve.

Et pourtant, nous nous accrochons à lui. John Kennedy avait promis que nous accepterions de payer n’importe quel prix, supporterions n’importe quel fardeau, pour parvenir à le réaliser. Et Ronald Reagan nous a comparés à « une ville sur une colline, » vers laquelle les regards du monde se tournaient. Obama électrise ses auditoires lorsque se déploie sa rhétorique messianique de sauveur du monde.

Désormais, tout se passe comme si, sans ce rêve, nous ne serions pas l’Amérique, et qu’un candidat à la présidence ne peut l’emporter sans y croire.

Pourtant, le capitaine Mark Moretti, le commandant de nos forces à Korengal, s’est exprimé ainsi : « Je pense que partir est la bonne chose à faire. »

Le rêve se meurt. Ne le réanimez pas, s’il vous plaît.

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Notes :

[1] Référence aux paroles de l’hymne patriotique America the Beautiful – ndlr

[2] Surnom donné à l’escadre de l’US Navy qui a accompli un tour du monde de 1907 à 1909 – ndlr

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