Par le Père Augustin
Jeanne d’Arc
Jeanne d’Arc est, sans conteste, une figure emblématique de l’histoire de France. Avec saint Louis, elle représente tout ce que le Moyen âge français a produit de plus sacré en France. Mais cette sacralisation du personnage, l’Eglise qui l’a condamnée au bûcher en 1431, mettra longtemps à la reconnaître, malgré le procès en réhabilitation, qui eut lieu dès 1455 et qui l’élève alors déjà au rang de martyre. Officiellement béatifiée par le pape Pie X en 1909, elle est canonisée par Benoît XV en 1920.
Il y a ensuite, depuis 1920, Jeanne d’Arc, déclarée patronne secondaire de la France. Et il y a enfin sainte Thérèse de l’Enfant Jésus – née Thérèse Martin – qui, en 1944, durant des heures assurément très sombres, a elle aussi été déclarée patronne de la France par le pape Pie XII. Curieuse et magnifique constellation féminine !
Mais revenons à Jeanne, dont la statue Place des Pyramides à Paris a été magnifiquement parée de drapeaux bleu-blanc-rouge ce week-end. Depuis le 10 juillet 1920, une fête nationale lui est consacrée le deuxième dimanche de Mai chaque année. Sa fête religieuse se célèbre, elle, le 30 mai, jour anniversaire de sa mort.
Que nous apporte Jeanne aujourd’hui ?
Je voudrais d’abord citer un texte de l’agnostique Charles Maurras, que l’on trouve dans son Dictionnaire politique et critique, et qui me semble clairement marquer que Jeanne appartient à tous les Français.
« Des profondeurs de la nature de la France, Jeanne est sortie pour symboliser ce qui ne meurt pas et ne peut pas mourir dans la manière d’être de la Nation. Elle croyait à son curé et elle en appelait au pape. Elle savait le roi nécessaire au pays, et comme le roi doutait du pays et de lui-même, elle le contraignait à se connaître et à se montrer. Cette fille sublime recueillait dans son cœur toutes les voix anciennes et intimes du patriotisme et de la religion. Jamais une âme humaine, jetée au fort de l’action, n’a entendu ni fait entendre avec une telle clarté, la mélodie des idées mères de son destin. Nous avons raison de dire qu’elle a été la sainte de la Patrie. Ne faut-il pas ajouter qu’elle le savait ? La lucidité de sa conscience égalait la droiture de son esprit et de son cœur. Ce pur cristal réfléchit le glaive de feu » (1925).
Ce qui frappe l’agnostique en Jeanne d’Arc, ce n’est pas d’abord le miracle de sa manifestation, c’est l’intelligence de cette jeune paysanne de 20 ans. Son intelligence stratégique à Orléans surtout (car elle n’est pas engagée à Patay où c’est l’avant-garde française qui culbute les archers anglais sans leur laisser le temps de prendre position) ; son intelligence politique à Reims où elle fait immédiatement sacrer son « gentil dauphin », en lui donnant la légitimité qui lui manque ; son intelligence du verbe, face à ses juges, graves professeurs de Sorbonne à bonnets carrés, qui ont dû quand même trouver saumâtres les leçons administrées par cette donzelle en pantalon. C’est à propos de ce verbe dru que Jean Cocteau écrivait : « Jeanne d’Arc est mon grand écrivain. Nul ne s’exprime mieux qu’elle, par la forme et par le fond ».
Des exemples ?
– Face à ses juges qui lui disent : « Nous sommes l’Eglise et tu n’y comprends rien », elle répond :
« De Jésus-Christ et de l’Église, il m’est avis que c’est tout un, et qu’il n’en faut pas faire difficulté »
– Face à ses juges encore qui l’interroge : Etes vous en paix avec Dieu ? Etes vous en état de grâce, ce qui leur aurait permis de la prendre en flagrant délit, soit qu’elle reconnaisse son péché soit qu’elle le nie avec orgueil, elle répond comme en se jouant : « Si je suis en état de grâce Dieu m’y garde, si je n’y suis pas, Dieu m’y mette ».
– Interrogé sur sa mission, elle répond intrépide : “Avant toute chose, St Michel me disait d’être une bonne enfant et que Dieu m’aiderait. Et entre toutes choses, il me disait de venir au secours du roi de France…Et l’ange me disait la pitié qui était au royaume de France”.
-Mais avant même d’être en face de l’évêque Cauchon et des fonctionnaires de Dieu qui vont la condamner, dès le début, elle avait trouvé le ton : “Gentil Dauphin, j’ai nom Jehanne la Pucelle et vous mande par moi le Roi des Cieux que vous serez sacré et couronné à Reims et que vous serez lieutenant du Roi des Cieux qui est Roi de France !”. Quelle allure !
Avec l’ennemi anglais, elle est tout aussi éloquente : « Roi d’Angleterre et vous, duc de Bedford qui vous dîtes régent de France, faites raison au roi du Ciel de son sang royal. Rendez au roi, par la Pucelle qui est envoyée par Dieu le Roi du Ciel, les clés de toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en France. Elle est venue par Dieu réclamer le sang royal. Elle est toute prête à faire la paix si vous lui voulez faire raison en quittant la France ! Vous ne tiendrez pas le Royaume de Dieu le Roi du Ciel. Mais le tiendra le Roi Charles, vrai héritier car Dieu, le Roi du Ciel le veut ». Elle sait ce qu’elle veut et, de son adresse, comme de la précédente, on peut tirer tout un petit traité de politique monarchique.
Et quand, après ses victoires, elle a libéré la route du nord, quand elle est à Reims, sous les voûtes de la cathédrales qui existe toujours et qui en a vu d’autres, écoutez-la, oui écoutez Jeanne d’Arc : «
-Gentil Roi, il me plairait avant de descendre dans le cercueil d’avoir votre palais et votre Royaume.
-Oh, Jeanne, répond Charles VII, mon palais et mon Royaume sont à toi.
-Notaire, écrivez dit la pucelle inspirée : le 21 juin de l’an de Jésus christ 1429, à 4 heures du soir, Charles VII donne son royaume à Jeanne. Ecrivez encore : Jeanne donne à son tour la France à Jésus-Christ. -Nos Seigneurs dit-elle d’une voix forte, à présent, c’est Jésus-Christ qui parle : “moi, Seigneur éternel je la donne au Roi Charles”.
Charles Maurras a raison : Jeanne pourrait être une illuminée comme il y en eut tant à son époque. Mais elle a la tête froide, l’esprit clair et l’audace toujours sur le bout de la langue. Elle est bien Française en cela, « sortie des profondeurs de la nature de la France, pour symboliser ce qui ne meurt pas : l’esprit.
Cinquième dimanche après Pâques :
En France, dans le rite traditionnel, encore appelé « extraordinaire », on peut célébrer la sainte Jeanne d’Arc à la grand-messe reprendre la suite des dimanches après Pâques, aux messes basses éventuellement célébrées dans le même lieu.
L’Evangile du Cinquième dimanche offre sans fard une affirmation de la divinité du Christ : « Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde. Maintenant je quitte le monde et je vais au Père ». Et nous avons aussi l’affirmation que « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera ».
Il ne s’agit évidemment pas de faire du Christ une sorte de distributeur automatique des faveurs divines sur l’air de « A tous les coups on gagne ».
Mais il s’agit de comprendre que dans le Christ et dans le Christ seulement, dans le Christ Fils de Dieu fait homme, l’homme devient l’égal de Dieu. L’expression « en mon nom » est très forte. Elle signifie dans mon esprit, dans ma personne. Le « Nom » pour un Juif renvoie immédiatement à la réalité qu’il signifie. Il la porte. Demander au Nom du Christ c’estdemander ce que le Christ demande : la divinisation effective non pas de l’humanité, non pas de la nature humaine, mais de tous les sujets humains qui, librement, le demanderont. Ce que vous demandez en Moi, Dieu vous l’accordera. Au fond, c’est dans le Christ que notre espérance prend forme. C’est dans le Christ que se concrétise l’attente obscure de l’humanité. Pour recevoir le salut qu’il nous porte, il suffit de le vouloir.
On peut dire que, dans le Christ, chacun de nous est responsable de sa destinée éternelle et qu’il lui suffit d’en être conscient, qu’il lui suiffit de demander consciemment cette vie éternelle au Christ sauveur pour la recevoir. « Dites seulement une parole et je serai guéri » comme nous disons avant la communion. Eh bien ! Cette parole, ce Verbe c’est le Christ. Nous pouvons être sûr que dans le Christ, nous sommes guéri de notre mortalité et nous recevons la vie « en abondance ».
Pourquoi ? Parce qu’étant auprès du Père, il n’a pas « retenu jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » comme dit saint Paul. Si nous sommes sûrs que dans le Christ nous devenons comme les égaux de Dieu, si nous sommes sûrs que dans le Christ nous devenons « participants de la nature divine » (IIème épître de Pierre 1, 8), c’est parce que le Christ est « sorti de Dieu » pour devenir l’un d’entre nous. Cette égalité entre l’homme et Dieu est le vieux rêve d’Adam et Eve dans le Paradis terrestre (« Vous serez comme des dieux »). Il est repris par Platon dans le Théétète : « La fuite, ressemblance avec Dieu ». Dans le premier cas, l’égalité avec Dieu est visée dans la révolte contre lui et l’appui du Serpent tentateur. Dans le second cas, l’identification avec Dieu est obtenu par « la fuite », fuite de notre condition matérielle qui va jusqu’au suicide mystique, dont d’une certaine façon Socrate buvant la cigüe pour obéir aux Lois, alors qu’il peut s’échapper, qu’on a organisé son évasion, fournit un prototype. Pour accomplir sa destinée, il y a la révolte, il y a la fuite de sa condition charnelle (voyez Plotin, littéralement mort de crasse selon les dires de Porphyre son disciple). Et puis il y a cette égalité qui vient de Dieu, de la « condescendance de Dieu » qui s’approche de nous, qui se fait l’un de nous, en sorte que le vieux rêve de l’humanité n’est plus un rêve, mais simplement une question de foi, une capacité à dire « Amen » au mystère du Christ pour s’y trouver inclus, ou à le rejeter parce que l’on préfère l’un des deux autres modèles : la révolte ou la fuite.