Jean-Luc Gréau, ancien cadre au CNPF puis au Medef pendant trente-cinq ans, est un économiste iconoclaste. A la différence de bon nombre de ses pairs, il a vu venir la crise, comme il la voit aujourd’hui se poursuivre. Il est ici interviewé par le magazine Le Choc du mois.
Quelles sont selon vous les nouveautés radicales qui caractérisent la globalisation économique mise en place dans les années 1980-1990, et dont vous dites qu’elles ont changé la nature même du libéralisme économique ?
L’entreprise a été instrumentalisée et abaissée au rang de machine à faire du profit (money maker). Une deuxième orientation est représentée par le libre-échange mondial qui concerne surtout l’Europe, espace le plus ouvert au monde, et à un moindre degré, les Etats-Unis.
Estimez-vous que nous allons vers une sortie de crise comme le prétendent les chefs d’Etat du G-20 ?
Non, la crise du crédit privé n’est pas résorbée, en dépit de ce qu’affirme la communication tendancieuse de la corporation bancaire : elle couve discrètement dans les comptes de nombreux organismes. Aujourd’hui, nous devons faire face de surcroît à une montée des périls sur la dette publique de la plupart des pays occidentaux, pour ne pas dire tous.
Comment interprétez-vous la crise suscitée par l’explosion de la dette publique grecque ?
Des déficits extérieurs structurels sont apparus partout où l’on n’avait pas les moyens de relever le double défi du libre-échange et de la monnaie forte. Ces déficits structurels n’ont aucune chance de se résorber, sauf dans deux hypothèses : la sortie de l’euro par les pays concernés ou l’entrée en violente dépression de la demande interne. On conviendra que chacune de ces hypothèses renferme la probabilité de la fin de l’Europe, telle que nous l’avons vue vivre depuis les commencements du projet.
D’après vous, la crise économique que doit affronter le monde depuis trois ans a-t-elle ébranlé la solidité des dogmes libre-échangistes ?
Hélas, à l’instant présent, les dogmes, les tabous et les interdits qui définissent l’expérience néo-libérale restent en place. L’aveuglement persiste et s’aggrave, en dehors de petits cercles de personnes placées en prise directe avec les entreprises ou les territoires sinistrés. Mais le déni de réalité ne pourra se prolonger longtemps. Patience !