Depuis 1940, la France a certes changé, mais sans doute moins qu’on aurait pu le penser, estime David A. Bell, professeur d’histoire à l’université Princeton (USA). Il souligne les aspects «immuables» de la société française comme le rôle de l’Etat, le luxe, la place des intellectuels… Quant à l’immigration, bien qu’elle ne soit plus majoritairement constituée d’Européens et de catholiques, il estime que les risques d’islamisation du pays sont «très exagérés».
On serait tenté de penser que tout sépare la France pauvre, rurale, homogène et dans l’ensemble plutôt religieuse de 1940 de celle riche, urbanisée, multiculturelle et foncièrement laïque de 2010. Mais, à y regarder de près, on constate aisément que, soixante-dix ans plus tard, la France n’a pas changé tant que cela. (…)
La population immigrée fait couler beaucoup d’encre dans les médias, mais ce n’est pas nouveau dans l’histoire du pays. Entre 1918 et 1945, la France a accueilli plus d’étrangers – en pourcentage de la population – que tous les autres pays occidentaux, Etats-Unis compris. Ce qui distingue les nouveaux venus d’aujourd’hui de ceux de 1940, ce n’est pas leur nombre, mais leur origine.
En 1940, ils étaient majoritairement Européens et catholiques. Aujourd’hui, le pays compte plus de 1,5 million de Noirs et environ 5 millions de musulmans, essentiellement d’origine maghrébine. Il y a aussi plusieurs centaines de milliers d’Asiatiques, et, dans certains quartiers de Paris, le mot “baguette” évoque moins un type de pain long et fin qu’un instrument pour manger.
Et, en 1940 comme aujourd’hui, l’immigration donne lieu à des accès de xénophobie et à de pénibles débats sur l’«identité nationale». (…) Aujourd’hui, le débat tourne autour de la question de savoir si un Etat laïque peut «intégrer» les populations musulmanes. Le gouvernement Sarkozy s’est emparé maladroitement de la question, en cherchant à interdire le port du voile intégral dans les lieux publics. Les craintes d’une «islamisation» du pays sont en réalité très exagérées, et la colère exprimée par des jeunes musulmans français traduit non pas tant une hostilité envers la société française que le fait qu’ils s’en sentent exclus.