Par le Père Augustin
Rappel sur l’Ascension
J’avais promis à François Desouche une bafouille sur l’Ascension. Las… Rien. Mais la liturgie me renvoie la balle puisque nous célébrons le dimanche dans l’octave de l’Ascension. Octave ? Huit jour. Pendant huit jours la fête. Nous restons donc dans l’Octave de l’Ascension.
Drôle de fête en vérité : à l’Ascension, nous fêtons notre séparation d’avec le Christ-homme, mais, en même temps, c’est cette séparation qui nous fait comprendre le Christ fils de Dieu. Tout à l’heure longue conversation avec une musulmane dont le mari voudrait être baptisé. Nous discutons du « Fils de Dieu ». Autant dire que la fête de l’Ascension est de circonstance pour cette conversation. Pour Aïcha, le Christ fils de Dieu, c’est un peu comme Hercule ou les héros grecs. Des Occidentaux très érudits ont aussi soutenu cela au début du XXème siècle, avec à la clé l ‘histoire du christianisme héritier des cultes à mystères, Eleusis et autres. J’explique à Aïcha que la notion de « fils » dont le Coran se moque, est purement métaphorique. Saint Jean, dans le Prologue de son Evangile, dit plutôt que le Christ est le Verbe de Dieu, « la raison divine ». Le Christ ? C’est cette « raison divine » qui dit Je dans un homme. Dans le Christ, expliquais-je à Aïcha, , Dieu s’est fait homme, pour ouvrir une voie nouvelle : celle au cours de laquelle, par la foi vivante, l’homme se fait Dieu… Dans le Paradis d’Allah, continuai-je, il y a un grand absent : Allah lui-même. On ne voit pas Allah dans son Ciel. Elle m’interrompt en m’expliquant que dans une phrase du Coran (dont elle ne me donne pas la référence), certains saints peuvent voir le visage de Dieu – Eh bien pour nous chrétiens, lui ai-je répondu, parce que le Christ est le Fils de Dieu, tous les hommes s’ils le veulent, peuvent voir Dieu, « visage à visage », comme dit saint Paul. Je vous cite cette petite conversation parce qu’il me semble que c’est tout le sens de l’Ascension : « Le Christ est enlevé et il est assis à la droite de Dieu ». Si le Christ est assis à la droite de Dieu, c’est qu’il nous y attend.
L’Evangile du dimanche après l’Ascension
Mais venons-en au dimanche après l’Ascension. L’Esprit saint nous est annoncé comme le « défenseur » (Paraclet). Drôle de défenseur, direz-vous. Quelle est sa force ?
La force du Saint-Esprit, c’est de pouvoir pénétrer les cœurs – tous les cœurs – sans effraction. C’est ce que signifie cette phrase de l’Evangile de Jean que nous lisons : « L’Esprit de Vérité qui procède du Père rendra témoignage de moi ». Il y a en « tout homme venant en ce monde », un rayon de cet esprit de vérité qui « l’éclaire ». Vous qui me lisez, que vous soyez chrétiens ou non, il y a en vous cette force de vérité. Saint Paul l’expliquait déjà aux Thessaloniciens : « La parole de Dieu agit efficacement en vous qui êtes fidèles », avant que vous ne l’entendiez de nous qui vous la prêchons. Voyez encore l’Epître aux Romains 8, 16 : « L’Esprit de Dieu rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu ». Pascal a merveilleusement exprimé cela comme d’habitude. Il est juste nécessaire de le relire une fois ou deux : « Il faut aimer un être qui soit en nous et qui ne soit pas nous, et cela est vrai de tous les hommes. Or il n’y a que l’Etre universel qui soit tel. Le Royaume de Dieu est en nous. Le bien universel est en nous, est nous-mêmes, et ce n’est pas nous ». Le Bien n’est pas confessionnel, il vient de l’intérieur de chacun, il est profondément singulier et vraiment universel.
Je viens de regarder le film Crimes et délits de Woody Allen. On aime ou on n’aime pas l’ambiance allenienne, mais le choix du « héros » entre son frère le truand, qui supprime l’obstacle lorsqu’il l’a identifié et son ami le rabbin qui croit à un ordre du monde expliquant la dimension toujours profondément personnelle de chaque existence, et qui introduit dans cette croyance la nécessité du pardon, ce dilemme très bien orchestré par Woody Allen, dilemme qui n’aurait pas dû être cornélien, me semble présenter de façon claire l’universalité du Saint Esprit. On comprend la gravité du péché contre l’Esprit, qui ne peut être pardonné, car en même temps qu’un péché contre Dieu, c’est un péché contre soi-même. Une destruction de la force du Bien en nous et pour nous. Le choix froid du non-sens, bien vu par Allen toujours.
Autre phrase significative de l’Evangile d’aujourd’hui : « L’heure vient ou quiconque vous tuera croira rendre un culte à Dieu ». Manière de nous prévenir qu’il n’y a pas que l’Esprit saint… qu’il y a l’autre aussi, l’Esprit malin et que l’Esprit malin, comme l’explique René Girard, se manifeste surtout par le sacrifice humain, le lynchage, la diabolisation. Depuis Caïn et Abel, le meurtre révèle l’Esprit malin. Voyez Les animaux malades de la peste du Bonhomme La Fontaine. Les grands fauves et les petits carnassiers sont tous là à se demander pourquoi cette peste. Et chacun fait l’innocent. Mais finalement « On crie « Haro » sur le baudet », parce qu’il a croqué un brin d’herbe dans un champ qui n’était pas à lui : « C’est lui, le pelé, le galeux d’où vient tout le mal ».
On notera le caractère religieux de la formule évangélique : « L ‘heure vient où quiconque vous tuera croira offrir un sacrifice à Dieu », c’est le sens plus précis du verbe grec. Le pire c’est quand le meurtre où le lynchage devient une sorte de sacrifice humain. Depuis la Révolution française et auparavant les guerres de religion, l’humanité pratique une sorte de défense et illustration du meurtre au nom… du Bien Il me semble que l’on peut faire un parallèle entre les sacrifices humains des religions archaïques (voir les Aztèques chez qui le sang des victimes faisait tourner le monde) et les victimes innocentes des génocides et des guerres idéologiques du XXème siècle : tous ces gens, juifs en Allemagne, koulaks en Russie, chrétiens en Turquie, dont on s’est débarrassé… par bonne conscience !