Les hedge funds accusés de parier contre l’euro n’ont rien gagné en mai, notent les observateurs. En cause, la réaction de l’Union aux attaques contre la monnaie unique et la morosité des marchés ces dernières semaines.
Le Spéculateur – Peinture à l’huile (1852) – Francis W. Edmonds
La crise frappant l’Europe n’a, contre toute attente, pas fait gagner d’argent en mai aux financiers accusés d’en tirer directement profit, voire de l’accentuer : les fonds d’investissement pariant sur les fluctuations des taux d’intérêt, la dépréciation des emprunts d’État. Abritant nombre de spécialistes de ces paris, les hedge funds appliquant une stratégie dite “global macro” ont même accusé des pertes – de 0,92% – en mai dernier, selon le bureau américain Hedge Fund Research.
Depuis le début de l’année, ces fonds censés s’enrichir grâce à la crise ont fait perdre 1% à leurs clients, alors que la moyenne des fonds d’investissement alternatifs gardait leur patrimoine intact (-0,3%). “Ce n’est pas la catastrophe, de telles fluctuations des performances sont la norme pour ces fonds ’macro’“, tempère Eric Bissonnier, l’un des responsables de EIM, firme basée à Nyon [Suisse] et spécialisée dans la sélection de hedge funds.
Plusieurs fonds en déroute
Il n’empêche. A la mi-avril encore, Louis Bacon – légendaire financier à la tête de Moore Capital – confiait à ses clients que le “plus intéressant investissement” résidait dans “l’écroulement potentiel de l’union monétaire européenne.” Le fonds vedette de Moore a pourtant subi des pertes inhabituelles de près de 8% sur les premières semaines de mai, selon un investisseur ne souhaitant pas être cité sur ces chiffres confidentiels.
L’agence Bloomberg indique de son côté que, sur les trois premières semaines de mai, le principal véhicule de Brevan Howard – le géant des hedge funds en Europe – n’a rien gagné. Et que le fonds Advantage de John Paulson, ce financier qui a fait fortune lors la crise des “subprime,” a perdu près de 7% de ses avoirs. Une déroute qui donne l’impression que les États européens ont remporté cette “bataille entre le pouvoir politique et les marchés” évoquée par la chancelière Angela Merkel le 6 mai dernier devant ses parlementaires.
L’Europe sort l’artillerie
La réalité reste plus complexe. Nombre de ces fonds dits spéculatifs ont certes “gagné beaucoup d’argent en mars et avril, au point d’accroître encore leurs positions en mai : des paris baissiers sur la Grèce, ils sont passés à ceux sur l’euro, sur les bourses européennes, accumulant de l’or en parallèle,” décrit Laurent Chevallier, spécialiste du secteur chez Eurofin Capital à Genève.
Ces paris ont été contrecarrés par le plan de sauvetage de 750 milliards d’euros annoncé le 9 mai par l’Union européenne. Puis par la volte-face de la Banque centrale européenne, qui s’est portée acheteuse en dernier ressort d’emprunts d’État qui faisaient l’objet de paris baissiers acharnés – par le biais de ventes à découvert mais surtout à l’aide des produits complexes appelés “credit default swaps” (CDS).
Pas d’unité
La mobilisation des gouvernements européens et de la BCE face à ce qui était perçu comme des attaques spéculatives ne peut donc expliquer à elle seule ces pertes des fonds dits “global macro” à en croire les spécialistes. Les financiers spéculant sur un défaut de remboursement de la Grèce ou sur le délitement de la zone euro, comme ceux restant à l’écart de tels paris, ont en réalité affronté des difficultés plus prosaïques : une météo effroyable sur les marchés en Europe, mais aussi à Wall Street qui a connu son pire mois de mai depuis 1940.
Les banques mises à l’index
Ces semaines de confusion générale relativisent l’influence des hedge funds dans la crise en Europe. Une autre menace, plus diffuse, brandie par les autorités européennes, aurait également conduit les plus visibles de ces hedge funds à lever le pied : celle d’un tour de vis réglementaire de la part des autorités européennes.
Ce revers des fonds dits spéculatifs pourrait s’avérer de courte durée. Cela fait des semaines que ceux-ci ont changé de cible, notamment pour écumer le marché plus anonyme des monnaies. Surtout, leur vision de la situation en Europe n’a guère changé. “Le point de vue des gérants alternatifs reste assez négatif, parier sur la baisse de l’euro est un moyen simple de le concrétiser,” souffle Alexandre Poisson, directeur de HDF International. Déraciner de telles certitudes demandera aux responsables européens plus de temps qu’un seul mois de mai pourri.