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Ils ne se taisent plus. Ils ont reçu la mort en héritage, et le dénoncent publiquement. À Cavaillon, dans le Vaucluse, Jérémie, enseignant à domicile de 37 ans, veut attaquer l’État pour le suicide de son père, arboriculteur criblé de dettes. « Je veux que les pouvoirs publics prennent conscience qu’ils conduisent les agriculteurs à des situations de faillite ». Jérémie a créé une association, l’ARSFP, l’association pour la reconnaissance de la souffrance des paysans, qui regroupe 30 familles d’agriculteurs suicidés.

Au mois d’avril dernier, en Dordogne, Daniel Lemonie, agriculteur de 55 ans, a mis fin à ses jours. Son fils, Clément, 22 ans, a voulu « briser le tabou du suicide des agriculteurs », et il a révélé une partie du contenu de la lettre que son père lui a laissée : « Mon père s’excusait de me laisser avec des dettes. Je ne veux pas que sa mort passe inaperçue. Qu’on dise, c’est fini ». Non, ce n’est pas fini.

Depuis les années 1990, les crises agricoles se succèdent. Crise de la vache folle : le bétail se meurt, les hommes aussi. Plusieurs éleveurs se suicident dans l’Aveyron. La récente poussée de fièvre catarrhale vient de conduire un éleveur de la haute vallée de l’Aude à se donner la mort.

Chute des cours du vin en Languedoc-Roussillon : 25 suicides de viticulteurs en un an. Le cours du lait a tourné, lui aussi. Selon l’Apli, l’association nationale des producteurs de lait indépendants, environ 150 éleveurs se seraient suicidés en 2009. L’un d’entre eux a choisi de se tirer une balle dans la tête sur la place publique : cela s’est passé devant la statue de Jaurès à Carmaux, dans le Tarn, au mois de septembre.

Entre 2008 et 2009, le nombre d’actifs agricoles a baissé de 2 % en France. Les plus âgés prennent leur – maigre – retraite. On les croise sur les marchés. À 70 ou 80 ans, ils vendent les légumes de leur jardin. Ce jeudi, sur un marché du Gers, Antoine, retraité, vend des fèves et des petits pois. Il ramènera un peu plus de 50 Euros à la maison : « C’est toujours ça ».

Pour passer le cap, certains sollicitent le RSA, le revenu de solidarité active. D’autres cherchent un emploi salarié.

C’est le cas d’Alain, éleveur de 42 ans, père de quatre enfants. Il s’est installé près de la ferme de ses parents, dans le Comminges. Il loue une petite maison située en lisière de forêt. Installé depuis 1991, Alain élève des vaches charolaises et des canards. Il a acheté des terres.

La tempête de 1999 a balayé un bâtiment d’élevage. Fin 2000, des corbeaux géants ont fondu sur son exploitation : « Ils se perchaient sur les chênes. Et au lever du jour, se jetaient sur les canards. Ils m’en ont tué jusqu’à 500 par jour ! », dit-il. Les corbeaux ont aussi mangé son revenu. Et très vite, Alain s’est retrouvé avec une dette de 80 000€. La ferme est en redressement judiciaire.

Chaque matin, Alain se lève à 3 h 30 pour aller travailler. Il a trouvé un emploi dans le compostage. De retour à la ferme à 13 heures, il mange et va s’occuper des vaches. « La nuit dernière, il y a eu un vêlage. Je me suis couché à 2 heures. Dormir peu, c’est une question d’habitude ». Alain ne se plaint pas.

Car dans sa longue journée, il se réserve toujours un petit moment de bonheur. À 16 heures, il va chercher son fils à l’école. Ce jeudi après-midi le garçon de dix ans revient à la maison avec le sourire et un 16,5 en maths… Il tartine de confiture une tranche de pain, qu’il mange avec gourmandise, fait ses devoirs, puis accompagne son père dans les champs : « Je fais comme papa, je sème du maïs. Et plus tard, je veux devenir réparateur de tracteurs ! », lance le bambin.

En milieu rural, les agriculteurs ne sont pas les seuls à se trouver parfois en situation précaire. À Aurignac, village médiéval de la Haute-Garonne, une petite entreprise se bat contre la crise. C’est l’association Tremplin qui, financée par le conseil général et la Caf, caisse d’allocations familiales, aide à la réinsertion. « Heureusement qu’ils sont là ! », fait Jean-François. Ce Breton de 51 ans travaillait à Brest dans le transport. « Un client ne m’a pas payé pendant six mois. J’ai fait faillite ».

En rade. « À Brest, je me suis retrouvé tout seul, sans travail. J’ai eu peur de finir à la rue. Ma fille est dans la région toulousaine. Alors je suis venu à Aurignac. Les loyers y sont moins chers que dans les grandes villes ». L’association Tremplin, qui fait une distribution de denrées alimentaires une fois par semaine, va lui permettre de rebondir. Jean-François va recréer une modeste entreprise.

À Cahors, dans le Lot, le conseil général a également mis sur pied une entreprise de réinsertion, un établissement public local.

Dans le Tarn, en milieu rural, « la pauvreté s’accroît, confirme Thierry Carcenac, le président du conseil général. Notre budget social, pour le RSA, est de 3,4 millions d’euros par mois, ce qui est énorme. L’activité est ralentie. On voit des familles quitter les villes pour s’installer dans des zones reculées, Vaour, les Monts de Lacaune. Ces familles veulent de la stabilité, un petit emploi sur place ».

Même la misère se met au vert.

Le chiffre : 32 600. C’est le nombre de foyers qui perçoivent le RSA attribué par la Mutualité sociale agricole en France. L’Aude et l’Hérault, régions viticoles, arrivent en tête des départements selon le nombre d’exploitants bénéficiaires du RSA.

« Dans l’Aude, les viticulteurs perdent 88 % de leur revenu. Le cours du vin est au niveau de 1985. Qui accepterait de vivre avec le salaire d’il y a 25 ans ? » Philippe Vergnes, syndicaliste viticole audois.

« L’élevage, cela devient le bagne »

Les agriculteurs subissent une crise sans précédent. Comment l’expliquez-vous ?

Claude Domenget, expert en diagnostic d’entreprise, Cour d’appel de Toulouse. Après guerre, les agriculteurs étaient environ quatre millions. En 2007, selon le Recensement général de l’agriculture (RGA), ils n’étaient plus que 507 000. Et selon le réseau d’information comptable agricole, il n’y aurait plus que 326 008 exploitations professionnelles dans tout le pays. La crise est économique, mais aussi psychologique. Le métier d’agriculteur n’a plus la cote dans la société.

Les producteurs de lait semblent les plus touchés. Pourquoi ?

D’importants investissements ont été mis à la charge des entreprises agricoles entre 2003 et 2006 pour les mises aux normes environnementales. Puis, en avril 2009, le marché s’est retourné et les prix ont baissé de 30 %. Les échéances des prêts étranglent quelques éleveurs. Des banques commencent à refuser le renouvellement des ouvertures de crédits.

Y a-t-il des faillites ?

J’ai créé il y a 21 ans mon cabinet d’expertise foncière et agricole, Optimes, à Saint-Orens. Je viens d’assister à trois liquidations immédiates d’entreprises agricoles qui avaient dû décapitaliser pour faire face à l’endettement. Je n’avais jamais vu cela auparavant. Beaucoup d’agriculteurs sont obligés de travailler à l’extérieur, et parfois à plein-temps ; cela tourne au bagne ! Nous avons été confrontés à trois suicides, dont un céréalier dans la Haute-Garonne. La profession agricole compte des milliers de bénéficiaires du RSA en France.

Comment les agriculteurs peuvent-ils s’en sortir ?

Une procédure judiciaire, ce n’est pas le coup de grâce, mais le plus souvent une bouée de sauvetage ; à notre niveau, nous avons conseillé 245 entreprises agricoles en difficultés, et le taux de redressement définitif est de 80 %. Il faut prévenir, faire le bon diagnostic. Et parfois, réorienter l’entreprise agricole. Il faut de la cohérence dans le projet. Cela marche. Il y en a qui s’en sortent.

Bientôt des psys pour les agriculteurs ?

La Coordination rurale a demandé ce jeudi à la MSA de remplir son « devoir d’alerte » en publiant le nombre de suicides d’agriculteurs. La dernière étude sur le sujet avait été réalisée en 1999 par l’Institut national de veille sanitaire. « La réglementation interdit à la MSA d’avoir un registre des suicides car la cause du décès fait partie du secret médical », a répondu Christophe David, médecin conseiller technique à la MSA. Laquelle Mutuelle sociale agricole a rappelé le souci de prévention qui est le sien.

Actions contre le stress dans le Lot, le Tarn et l’Aveyron. Mise en place d’un numéro vert pour les viticulteurs de l’Hérault. Les « préventeurs » de la MSA mettent en place des actions diverses, et se préoccupent de prévenir la détresse psychologique. En Haute-Garonne, on en est encore au stade du diagnostic. Mais un plan d’action sera proposé cet hiver, notamment la mise en place d’ateliers, ce qui se fait déjà dans les Pyrénées-Orientales.

Les travailleurs sociaux disent avoir parfois du mal à repérer les situations criantes car les agriculteurs ont tendance à taire leurs difficultés, surtout à leurs plus proches voisins…

Le syndicalisme agricole mène de son côté beaucoup d’actions d’entraide. Dans le Gers, la Coordination rurale a créé un SAMU social agricole, qui répond aux détresses morales. Dans la Haute-Garonne, la Confédération paysanne a initié une structure juridique pour aider les exploitants à négocier les crises, l’Adad l’association de défense des agriculteurs en difficulté. « Nous traitons habituellement une centaine de dossiers lourds par an, indique Patrick Kirchner, agriculteur et président de l’Adad 31. Mais en 2009, nous avons eu 20 % de dossiers supplémentaires ».

RSA des villes et RSA des champs

Les départements, dont les recettes stagnent (+1,6% en 2009) font face à l’explosion de la demande sociale (+6,3%), selon l’Observatoire de l’action sociale décentralisée.

Les départements financent notamment le RSA, attribué par la Caisse d’allocations familiales et la Mutualité sociale agricole.

Dans la région, la MSA attribue 3 559 RSA aux agriculteurs (205 dans l’Ariège, 574 dans l’Aude, 252 dans l’Aveyron, 148 dans le Lot, 898 en Lot-et-Garonne, 218 en Haute-Garonne, 281 dans le Gers, 244 dans le Tarn, 555 dans le Tarn-et-Garonne, 184 dans les Hautes-Pyrénées).

La Dépêche

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