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Jean-Sébastien Bach

I/ Mise en bouche…

A moins que vous ne soyez un mélomane confirmé, il est peu probable que le titre « Toccata et Fugue en Ré mineur » vous ait spontanément dit quelque chose. Et pourtant il s’agit sans doute d’une des œuvres les plus connues au niveau mondial. Vous en avez-vous-même sûrement entendu quelques notes, même si vous ne la connaissez probablement pas en entier. Pour en être sûr, cliquez sur le lien ci-dessous et écoutons en un petit extrait (1 minute 20), joué de façon… originale dirons-nous.    C’est une surprise! 🙂

Ce n’est sans doute pas la meilleure interprétation qui existe, mais saluons au moins la prouesse physique!Cependant, maintenant que vous situez un peu de quoi on va parler aujourd’hui, entrons dans le vif du sujet…

II/ Qui est  Jean-Sébastien Bach ? En quoi est-il important dans l’histoire de la musique ?

Jean-Sébastien Bach est un musicien allemand, né en 1685 et mort en 1750. Chez les Bach, la musique est affaire de famille : à sa naissance, on compte déjà des dizaines de « Bach » en activité en temps que musiciens de Cour dans les divers royaumes et principautés allemandes de l’époque, dans les grandes villes commerçantes ou encore comme musiciens officiels dans les Eglises et chapelles. Jean-Sébastien Bach lui-même aura une vingtaine d’enfants, dont 4 seront musiciens professionnels.

A la différence d’autres grands musiciens, Bach ne sera ni reconnu ni méconnu de ses contemporains. Son influence restera presque «banalement » locale, il voyagera de ville en ville dans son Allemagne, sans être appelé ou sans aller de lui-même hors de sa terre natale. Il est considéré par les musicologues comme le dernier représentant de la période musicale dite « Baroque » et sa mort en 1750 marque la fin du Baroque pour entrer dans ce qu’on appelle la musique « classique » proprement dit.

Je développerai un jour les différentes « périodes » musicales. Gardez à l’esprit pour le moment la simple classification chronologique suivante : Musique Renaissance (approximativement 1500-1600), Musique Baroque (1600-1750), Musique Classique (1750-1830). Nous verrons également la Musique Romantique (= approximativement 1830-1914) et la Musique Contemporaine (1914 et au-dela). Notez qu’on utilise parfois les mêmes termes dans les autres arts (Architecture classique, architecture baroque par exemple ou littérature et peinture de l’époque romantique.) Ils ne recouvrent parfois pas tout à fait les mêmes époques ni les mêmes réalités artistiques, mais cela montre que les différents arts (et surtout les artistes…) s’influencent entre eux et ne sont pas cloisonnés.

Revenons à Jean-Sébastien Bach. Cet homme, moyennement reconnu de son époque, a pourtant eu une influence CONSIDERABLE pour ne pas dire ESSENTIELLE sur la musique européenne. Arrivé bon dernier parmi les grands musiciens baroques (dont l’anglais Henri Purcell, l’allemand Georg Frederick Haendel ou le Français Jean-Baptiste Lully), il ne marquera a priori pas son siècle : le « style » baroque, après 150 ans de domination éclatante, commence à lasser. L’œuvre de Bach elle-même sera d’ailleurs complètement oubliée dès son décès et ne sera redécouverte et jouée à nouveau qu’au XIXème siècle.

Toutefois, les enchaînements, l’agencement des notes, la technique du « contrepoint » (retenez juste le terme pour le moment) et surtout l’  « art de la fugue » (que nous nous allons voir plus bas) ont été repris avidement par des musiciens aussi prestigieux que Mozart, Beethoven, Brahms et Wagner ! Mozart pourtant déjà très fort par lui-même ( !), séjourna à 11 ans chez l’un des fils de Bach à Londres et eut l’occasion d’étudier personnellement les partitions de Bach à 26 ans (Mozart mourut à 35 ans…). Il composera ses plus grandes réussites après cette date : « Don Giovanni », « La Flûte enchantée » et son fameux « Requiem ». Sans Bach, il est probable que les quatre musiciens cités ci-dessus auraient composé différemment.

Ainsi, on peut dire que Bach, moyennement reconnu de son vivant, a été non seulement un des plus grands mais aussi un des musiciens les plus PRIMORDIAUX de la musique européenne. Sans lui, il est probable que la musique que nous écoutons actuellement (je parle de la belle musique…) aurait une allure complètement différente.

III/ Quel est l’extrait présenté ? Qu’est ce qu’une Toccata, qu’est ce qu’une Fugue ?

« Toccata et Fugue en Ré mineur » de Bach est tout simplement… l’œuvre pour orgue la plus jouée dans le monde. Pour vous donner un aperçu de sa célébrité et de son attractivité 230 ans après la mort de Bach, sachez qu’en cherchant une vidéo pour illustrer cet extrait, je suis tombé sur une vidéo ayant été vue… plus de 3 MILLIONS de fois. Et ce n’était qu’UNE vidéo parmi des dizaines d’autres. Sachant que peu de gens sont capables d’apprécier spontanément cette pièce (elle n’est pas si facile que cela) cela donne une idée de son attractivité. Nous verrons les possibles raisons de cette attractivité plus bas.

Une « Toccata » (de l’italien toccare = toucher) est une pièce musicale pour instruments à clavier. Je veux dire par là qu’à la base, l’instrumentiste improvisait sur son clavier (orgue, mais aussi clavecin, l’ancêtre du piano). Il s’agit initialement d’une sorte de « test » de l’instrument, qui permet au musicien de voir jusqu’où la mécanique de l’instrument est capable d’aller. Peu à peu, ce test dérive vers une démonstration technique non de l’instrument mais du musicien lui-même qui montre ses capacités musicales et techniques. C’est par exemple le genre d’œuvre typique que l’on présentera à un concours de musique si l’on est très supérieur aux autres techniquement et que l’on veut impressionner le jury et mettre la pression aux concurrents adverses. Dans notre monde postmoderne, on fera une « battle » pour « clasher » l’adversaire. Deux mondes donc, mais la logique est à peu près la même sur ce coup.

Une « Fugue » est une pièce musicale utilisant le principe de « l’imitation » d’un thème sur plusieurs hauteurs de voix. Le thème est pris et repris sans cesse en passant d’une voix à l’autre, comme si l’air « fuyait » (c’est la même racine latine que « fuguer » = s’enfuir de chez soi, d’où le nom de « fugue » pour ce type de pièce) en permanence devant l’auditeur qui a du mal à l’ « attraper » avec son oreille car le thème est joué par un instrument différent en permanence.

Plus impressionnant encore, le thème est joué par un premier instrument et un autre instrument le reprend alors que le premier instrument n’a pas fini de jouer. Un troisième instrument commence à jouer le thème alors que le premier n’a pas fini et le deuxième non plus et ainsi de suite. Le même thème est ainsi répété sur des hauteurs différentes par plusieurs instruments à la fois mais avec un décalage plus ou moins important. C’est un peu le principe du « canon » à 4 voix que l’on chante parfois en colonie de vacances mais avec une trentaine d’instruments différents et une centaine de musiciens.

Il s’agit pour faire simple d’un thème unique, répété en boucle des dizaines de fois, sur des dizaines de voix différentes. Le plus impressionnant est que le tout forme un « ensemble » sonore compacte, extrêmement « fouillé et touffu», un peu comme un mur de brique, que l’on voit de loin mais sans que l’on puisse détailler à distance l’agencement des briques. Bach est celui qui a poussé l’art de la fugue le plus loin et c’est sans doute son apport majeur à l’écriture musicale.

IV/ Regard personnel sur la pièce présentée :

Cette pièce a à mes yeux quelque chose d’étrange. Elle fascine et intrigue, sans que l’on sache trop pourquoi.

Ce n’est pas aussi joli que du Mozart.

Ce n’est pas aussi entrainant que du Rossini.

Ce n’est pas aussi brillant que du Lully.

Ce n’est pas aussi pur que du Haendel ou du Purcell.

Ce n’est pas aussi tonitruant que du Wagner.


C’est « quelque chose » d’autre. C’est presque « extra-humain », ça me parait en dehors de nos schémas de perception du monde.

C’est indéfinissable, à la fois attirant et effrayant, comme un grand cataclysme que l’on voit venir sans pouvoir l’éviter.

Si j’étais prophète, j’annoncerai la fin du monde sur cette musique.

Si j’étais croyant, je dirai que l’Antéchrist en personne a tenu la plume de Bach.

Si j’étais cinéaste, je tournerai un « Frankenstein » dans laquelle on entendrait cette musique pendant que la créature s’anime sur fond de tonnerre et d’éclairs.

Si j’étais écrivain, je réécrirais « Dracula » en ajoutant une scène dans laquelle le célèbre Vampire forcerait Jonathan Harker (le héros) à jouer cette pièce pendant qu’il suce le sang de ses victimes.

Je note par ailleurs que dans le cinéma moderne, (dans le Pirate des Caraïbes 2 pour être précis), le Capitaine maudit du vaisseau fantôme le « Hollandais Volant » joue cette pièce sur un immense orgue pour arracher son navire à la mer et le faire voler dans le ciel de l’orage. Cette musique est entre la vie et la mort, entre le ciel et l’enfer, à la fois captivante et effrayante, toujours à la limite des deux.


V/ Conseils d’écoute :

Ce n’est pas une pièce très facile. Elle est un peu plus longue que d’habitude (près de 10 minutes) et sa structure très complexe ainsi que la sonorité inhabituelle de l’orgue si vous n’êtes pas mélomane vous demandera un peu de concentration. Tout va bien se passer cependant si vous tenez compte des consignes suivantes.

Je vous conseille d’abord de vous isoler. Fermez les portes, coupez les portables, veillez à ce qu’on ne vous dérange pas.

Vous allez être aidé par la vidéo elle-même. L’orgue sur laquelle joue l’organiste est absolument MONSTRUEUX (le mot n’est pas trop fort, on dirait une bête maléfique et majestueuse  observant sa proie) d’un point de vue visuel. Vous aurez droit à des plans d’ensemble spectaculaires, dans lequel l’organiste (= le musicien) semble absolument ridicule de par sa taille, presque menacé.

L’orgue en lui-même est absolument immense et semble faire 20 mètres de haut sur une quinzaine de large. D’ailleurs c’est bien simple, il occupe presque toute la hauteur et la largeur de la salle. Les tubes dans lesquels passent le son semblent être assez larges pour contenir un homme même corpulent.

La pièce sera divisé en deux parties (comme nous l’avons précisé en III/ ) , la Toccata (dans lequel l’organiste semble tester le clavier) et la Fugue proprement dite. Elle démarre sur un air plaisant. Admirez au fur et à mesure que le temps passe comment la tonalité générale devient peu à peu sombre et menaçante, sans que l’on sache au juste à quel moment le changement a commencé. Le génie de l’ « Art de la Fugue » façon Bach est là !

Vous aurez parfois quelques moments de répit : profitez-en pour admirer la complexité mécanique de l’orgue et le haut degré de maîtrise requis pour cet instrument. Le musicien joue en effet avec QUATRE claviers différents devant lui (quatre petits pianos si vous préférez)… plus 1 gros clavier sur lequel il joue… avec ses pieds, pendant que des dizaines de boutons sur les côtés permettent d’envoyer l’air (soufflé en permanence via une soufflerie) dans les tuyaux requis.  A certains moments, la vitesse et la précision requise pour jouer le clavier du bas avec les pieds est telle que l’organiste doit se cramponner à son siège pour ne pas perdre l’équilibre !

Dernier petit conseil : montez un peu le son et sur-augmentez légèrement les basses. Prêtez attention aux basses, elles donnent tout le côté sinistre et captivant de la pièce, et ce dès les premiers instants de la Toccata. Essayez de suivre le thème qui passe d’une voix à l’autre, sans prévenir. Il est assez facile à suivre dans les basses car ce sont des sons que nous arrivons à isoler plus facilement avec notre oreille.

Les deux dernières minutes sont absolument glaçantes et sinistres si vous vous prenez au jeu, tant d’un point de vue sonore que visuel. Concentrez-vous un maximum pendant les deux dernières minutes.

Si la pièce vous a plu, réécoutez la une deuxième fois. Vous ne serez pas déçus car vous pourrez prêter attention à d’autres choses que vous aurez du mettre de côté à la première écoute.

Merci de votre attention et Bon Dimanche à tous les Desouches ! 😀




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