Le débat actuel sur la solidité des banques, pourtant vital pour celles-ci, est quelque peu occulté, dans les médias, par la polémique relative à la rémunération de leurs dirigeants et des traders.
Néanmoins, parmi les décideurs et les économistes, ce débat existe et il sera probablement vif aujourd’hui et demain, lors du G-20.
Explications.
Le principe d’un renforcement des fonds propres des banques est acquis parmi les pays développés, mais les modalités de la réforme divisent Américains et Européens, soucieux de préserver la compétitivité de leur industrie financière et de ne pas grever la reprise.
“Des décisions ont désormais été prises par les superviseurs, qui conduiront à un ensemble cohérent de mesures, qui devraient élever le niveau de capital des banques, en terme de qualité et de quantité”, a souligné le Conseil de stabilité financière (CSF), qui regroupe des banquiers centraux et des régulateurs de 24 pays, à l’issue de sa réunion du 15 septembre à Paris.
Mais le G-20 qui s’ouvre ce jeudi à Pittsburgh (Etats-Unis) devrait voir s’affronter les grandes puissances sur les modalités de la réforme.
“A ce stade, les propositions américaines favorisent leurs banques et risquent de pénaliser les nôtres. Ce serait un comble, alors qu’elles ne sont pas à l’origine de la crise et s’en sortent mieux que les américaines”, a déclaré au Journal du dimanche la ministre de l’Economie Christine Lagarde.
Le conflit se cristallise sur la question du levier d’endettement (“leverage ratio”), soit le rapport entre les fonds propres des banques et leurs actifs.
[Il s’agit, en fait, du rapport entre les capitaux qu’elles détiennent, et ceux, bien plus importants, qu’elles prêtent sans les détenir, par jeu d’écritures, en vertu du principe dit des “réserves fractionnaires” : aux USA, ces réserves doivent être de 10 % et, dans la zone Euro, de 2 % seulement. Une banque américaine ne devra donc pas prêter plus de 10 fois le montant de ses fonds propres, alors qu’une banque européenne pourra prêter jusqu’à 50 fois ce montant.].
Les Américains souhaitent augmenter purement et simplement ce ratio, sans considération des risques pris par les banques : “les établissements bancaires devraient être soumis à la contrainte d’un levier simple, non basé sur le risque”, a énoncé le 3 septembre le Trésor américain.
Les Européens, Français et Allemands en tête, sont majoritairement hostiles à ce principe, qu’ils jugent injuste et qui mettrait à mal la compétitivité de leurs banques. Ils prônent une approche “pondérée des risques”, telle qu’ils la mettent en oeuvre en application des règles dites de Bâle II, transposées dans la directive européenne CRD (Capital Requirements Directive).
Certaines voix outre-Atlantique expliquent que les banques européennes sont hostiles au “leverage ratio” à l’américaine, parce que leur niveau de fonds propre est inférieur en valeur absolue ou en qualité à celui des banques US.
Argument de pure mauvaise foi, selon un responsable des études dans une grande banque française : “L’idée qu’une banque n’ayant que des CDO (actifs à risque à l’origine de la crise, NDLR) ou du subprime puisse avoir un meilleur ratio de fonds propres qu’une autre n’ayant que des obligations d’Etat est absurde”, affirme-t-il.
“Les Américains adoptent cette position parce que leurs établissements ont des actifs plus risqués (…) et donc ils présenteraient des ratios de fonds propres moins favorables s’ils appliquaient aujourd’hui un ratio pondéré des risques”, assure-t-il.
Lehman Brothers avait un niveau de fonds propres relativement élevé, ce qui ne l’a pas empêché de sombrer.
La mise en oeuvre d’un ratio de levier “bête et méchant” serait d’autant plus inéquitable et complexe, selon ses détracteurs, que les banques américaines conservent en dehors de leur bilan une grande partie de leurs engagements, que les normes comptables ne sont pas uniformes, et que les uns et les autres ne comptent pas comme “fonds propres durs”, comptant au dénominateur du levier, les mêmes éléments.
Le risque encouru, au final, est celui d’une nouvelle restriction du crédit, a prévenu mercredi, dans le Financial Times, le président de BNP Paribas, Michel Pébereau.
Ce risque devrait conduire les négociateurs à se laisser du temps, selon un observateur.
Le CSF avait lui-même souligné le 15 septembre la nécessité de fixer un calendrier de mise en oeuvre “raisonnable”, afin de ne pas “compromettre la reprise économique”.
[N.B. : malgré leurs fonds propres plus élevés, les pertes des banques américaines lors de la crise financière de 2008-2009 ont été deux fois plus élevées, à ce jour, que celles des banques européennes : environ 2 700 milliards de dollars contre 1 300, selon les estimations du FMI.]
(Merci à Eric – et non €ric ! -, d’avoir évoqué cette intéressante question sur ce fil.)