(8 octobre 2009) – La ville de Détroit avait annoncé la distribution de 5 000 formulaires de demande d’aides au logement. Mais ils ont été plusieurs dizaines de milliers à se presser sur les lieux, provoquant bousculades et altercations entre des chômeurs désespérés. Plusieurs personnes ont été blessées, piétinées par la foule. Témoignages de la violence de la crise sociale au cœur de l’Amérique.
Les demandeurs étaient venus à pied, en fauteuil roulant, en vélo et en voiture. En raison de la tension et de l’énervement croissants, plusieurs personnes ont été piétinées. Les habitants de Détroit tentaient de mettre la main sur les 5 000 formulaires de demande d’aide fédérale distribués par la ville. La ville a reçu près de 15,2 millions de dollars de fonds fédéraux au titre des programmes de Prévention des Sans-abris et du Relogement Rapide, qui attribuent une aide financière temporaire et des logements aux personnes et aux familles sans-abri, ou qui le seraient en l’absence de ces aides.
Les fonctionnaires de police de Détroit et les responsables des pompiers ont envisagé d’arrêter la distribution en raison du trop grand nombre de personnes. Il est difficile d’estimer la foule présente car toutes les files d’attente serpentaient à travers le centre de convention, à l’extérieur le long du bâtiment, et en bas de la rampe du parking. Un officier de police avance le chiffre de 50 000 personnes.
Voilà ce qui arrive lorsqu’une ville remplie de gens ruinés reçoit un peu d’argent, déplore Walter Williams, 51 ans, qui avait commencé à faire la queue pour un formulaire avant le lever du jour. « Ce matin, j’ai vu le rideau se lever sur le malheur », dit-il. « Des gens qui se battent en faisant la queue. Ils se menaçaient de se tirer dessus. Les gens ont désespérément besoin d’aide financière pour conserver leur logement, payer leurs factures, pour qu’ils puissent faire la soudure avant d’avoir retrouvé un emploi. »
Latanya Williams, qui vit à Détroit depuis 32 ans, déclare avoir rapidement rempli son formulaire car « les gens les volent. J’espère obtenir n’importe quelle aide qu’ils puissent me donner, tout le monde a besoin d’aide. »
Certaines personnes fendaient la foule pour arracher les formulaires des mains de ceux qui les avaient déjà obtenus. En fin de matinée, les formulaires manquaient. Mais des escrocs ont eu l’idée de photocopier l’original et de vendre ces copies pour 20 dollars. « Je ne suis même pas sûr que le gouvernement acceptera ces formulaires », s’interroge Pam Johnson, une bénévole. « C’est comme s’il fallait calmer les gens. Il y avait presque une émeute. Il a fallu faire appel à l’escouade de répression des gangs. J’ai vu une vieille dame presque piétinée à mort ».
Nous avons rencontré Kelley Turcotte, qui est plongeur dans un restaurant, près de l’extrémité de la file d’attente vers 10h30. Âgé de 27 ans, il vient d’avoir un fils et ne peut faire face à ses factures. « J’espère que le gouvernement verra ce qui se passe, et comprendra que la ville a besoin de beaucoup plus d’aide que celle qui lui est donnée, » déclare-t-il.
Luis Irizarry, 35 ans, est venu de Flint en voiture, espérant profiter de l’occasion d’obtenir une aide. C’est seulement ensuite qu’il a découvert que seuls les habitants de Détroit pouvaient en bénéficier. Pour lui ce fut un choc de voir autant de gens dans le besoin.
Tony Johnson est venu à 5 heures du matin. M. Johnson n’a pas réussi à trouver d’emploi depuis trois ans: « il n’y a pas de tranquillité parce qu’il n’y a pas d’emplois. Tout le monde est à la recherche d’un extra, d’un coup de main. Ils ne me comptabilisent pas comme chômeur parce que je n’ai pas d’allocation. C’est comme si je n’existais même pas. Mais j’existe. Regardez autour de vous. Il y a des milliers … des millions dans ce cas. »
Dan McNamara, qui dirige la section 344 des pompiers de Détroit, observe depuis sa fenêtre le Cobo Center. « C’est tout à fait représentatif des difficultés de la classe moyenne en Amérique », juge-t-il. « Nous avons été trahis par le gouvernement, les agents immobiliers et ceux qui en ont profité. Le contrat a été rompu. »