Alain Finkielkraut, Eric Zemmour et Elisabeth Lévy squattent les médias en tant qu'”opposants de la pensée unique”. Que pensent les journalistes et les présentateurs de ces bons clients de leurs émissions ? (…)
Victor Robert : “J’ai connu Eric Zemmour à l’adolescence de sa carrière télévisuelle. Il était face à un contradicteur, et parlait de ce qu’il connaît le mieux encore, c’est-à-dire la politique. Je n’ai jamais connu aucun dérapage à l’époque. Le refrain de Zemmour, je suis de ceux qui pensent qu’on doit l’écouter, mais aussi le contredire, l’encadrer. Le problème, c’est quand, comme aujourd’hui, on le lâche un peu partout, sur tous les sujets, quand on vient chercher le personnage plutôt que le journaliste. On ne peut pas être bon partout. C’est aussi pour cela qu’on a le sentiment que la parole d’Eric Zemmour est trop lourde, trop présente.”
Bruno Roger-Petit : “Il y avait une place à prendre à la télévision, ils l’ont prise et ils l’occupent toujours bien. C’est comme si une demande politique avait rejoint une demande médiatique. Lévy et Zemmour, tout comme Finkielkraut, incarnent par le discours et leur look un courant politique très conservateur. Ce sont en plus des bons clients télé. Ils ont une bonne élocution et ils ne cachent pas leur drapeau, c’est très télégénique. Ils écrabouillent médiatiquement les libéraux présentables, et à gauche, il n’y a plus rien”, explique Roger-Petit.
Patrick Menais : “Aujourd’hui il faut créer du buzz, des applaudissements, il faut que ça rentre dedans. Ce sont les nouveaux sophistes de la société du spectacle, ils sont là pour faire du show. Ils sont dans une mécanique du contre, qui leur rapporte de l’argent. Ils sont prêts à s’enflammer sur n’importe quoi avec une certaine érudition. Ce qui est dingue, c’est que ces gens se targuent d’être politiquement incorrects. Alors que le discours réac est devenu une espèce de norme face à laquelle on doit se situer dans les échanges d’arguments.”
Pascale Clark : “Lévy, comme Finkielkraut ou Zemmour, ce sont des gens qui parlent fort. Comme si le fait de hurler plus fort que les autres et de se mettre en scène, comme si cette révolte à deux balles, était une forme de liberté. Il y a un côté jeu de rôle là-dedans, c’est évident. Ils sont devenus ceux qu’on adore détester. Ce sont des gens qui ont certainement des qualités, mais il est parfois difficile d’aller au-delà leur opposition systématique”, note Pascale Clark.
Nicolas Demorand: “J’invite Finkielkraut à la radio, car je préfère Dieu à ses saints, le modèle original aux déclinaisons. Finki, il creuse un sillon intellectuel qui est le même depuis le début. Il pense contre, c’est son fonds de commerce, et il y a un public pour ça. Penser contre, c’est aujourd’hui une part de marché. Ceux qui fustigeaient le consensus sont devenus les professionnels du dissensus, du contrepied. A l’inverse de ce qu’ils disent, ces gens sont installés : le martyrologe des pensées incorrectes, c’est un coup de génie marketing mais c’est désormais une vaste fumisterie, ils sont maintenant archi dominants”, conclut Demorand.