Si la percée de la Chine en Afrique a un temps été accueillie avec enthousiasme, elle suscite aujourd’hui l’inquiétude.
C’est une fin de non-recevoir sans précédent que vient d’essuyer la Chine au Nigeria. La première, mais sans doute pas la dernière sur le continent africain.
Profitant du bras de fer qui oppose les autorités nigérianes aux grandes compagnies étrangères implantées depuis près d’un demi-siècle dans le pays, Shell, Chevron, Total, ExxonMobil, le gouvernement a refusé fin septembre la proposition chinoise d’acheter 6 milliards de barils de pétrole. Un contrat évalué à quelque 20 milliards d’euros. «Je peux vous dire que nous n’allons pas leur donner tout ça», a simplement déclaré Odein Ajumogobia, vice-ministre du pétrole du Nigeria.
L’engouement des Chinois pour l’or noir et les minerais de l’Afrique ne date pas d’hier. «Bien qu’elle soit l’un des plus grands producteurs de pétrole, avec 4,8 % de la production mondiale (…), la Chine n’est capable de fournir que moins de la moitié de ses besoins», note un document du South African Institute of International Affairs (SAIIA) rendu public le mois dernier. Et cette organisation non-gouvernementale d’ajouter que la demande du pays «connaîtra la croissance la plus rapide du monde dans les dix prochaines années et aura doublé en 2030, pour dépasser les 15 millions de barils par jour».
L’Afrique, de son côté, avec environ 9,5 % des réserves pétrolières mondiales connues, se place en troisième position derrière le Moyen-Orient (61 %) et l’Amérique du Nord (11,6 %). La Libye est le pays le plus riche, avec 35 % des réserves du continent, suivi par le Nigeria (31 %), l’Algérie (10 %) et l’Angola (8 %). Au total, elle est le deuxième fournisseur de la Chine (27 % de ses achats en 2007), derrière le Moyen-Orient (39 %). La Chine qui représente elle-même le deuxième débouché de l’Afrique (19 %) derrière les États-Unis (37 %).
Mais ce n’est pas tout. Ces dix dernières années, les Chinois se sont imposés comme les plus gros consommateurs de métaux, devant les Américains. Ils s’approvisionnent en Afrique du Sud (platine et manganèse), au Gabon (manganèse), en Zambie (cuivre et minerais de fer), au Zimbabwe (platine) et en Angola (cuivre et minerai de fer). Entre 2000 et 2007, précise le SAIIA, la valeur de leurs importations minières d’Afrique a bondi de 286 millions de dollars à 2,6 milliards de dollars.
Au début, la percée de la Chine en Afrique a été accueillie avec enthousiasme. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Elle inquiète. «Il ne faut pas que l’Afrique sorte d’un néocolonialisme pour aller tomber pieds et poings liés dans le néocolonialisme chinois», avertit René N’Guettia Kouassi, directeur du département des affaires économiques de l’Union africaine. «Tout le monde ne voit pas de manière positive l’implication économique grandissante de la Chine», confirme le rapport du South African Institute of International Affairs.
Car, à chaque fois, le processus est le même. La Chine apporte une aide financière et une assistance technique. Elle propose de construire des écoles, des hôpitaux. Elle invite des étudiants africains à venir à Pékin et envoie ses médecins et ses enseignants en Afrique. Le système porte un nom, l’«Angola mode» parce que c’est dans ce pays que les Chinois ont commencé à échanger à grande échelle leur savoir-faire contre des matières premières. Mais aujourd’hui, il suscite plus de critiques que d’admiration.
«L’argent investi ne profite pas aux économies domestiques», dénonce Tsidiso Disenyana, un chercheur sud-africain, qui réclame plus de transferts de technologie et de formation pour les employés locaux. Et le SAIIA d’accuser les Chinois de «manque de transparence» et de souvent «violer les règlements des pays hôtes en matière de travail et d’environnement». La réaction du Nigeria pourrait donc faire tache d’huile. «Il faut des stratégies qui permettent de briser le cycle de la pauvreté en Afrique», souligne le rapport sud-africain qui ajoute que la nature même des prêts chinois «peuvent potentiellement plonger les pays africains dans une nouvelle spirale de dettes».
À l’heure où ils sont également décidés à racheter des terres à tour de bras en Afrique pour faire face à leurs besoins alimentaires, les Chinois font peur. Et, surtout, avertit Guillaume Moumouni, un économiste au Bénin, «aujourd’hui on parle de la Chine, mais demain ce sera l’Inde ou le Brésil qui mènent beaucoup d’offensives selon le même schéma».