Plusieurs fonctionnaires de l’AIE ont affirmé au Guardian que l’agence minimisait sciemment l’imminence de la pénurie de pétrole. L’une de ces sources accuse les USA d’avoir joué de leur influence pour modifier les publications, afin de laisser croire que les réserves sont plus importantes qu’elles ne le sont en réalité. La dernière édition du World Energy Outlook [pour le résumé en français de l’édition 2009, cliquez ici] prévoyait une production de 105 millions de barils/jours, alors que des voix à l’intérieur de l’agence s’interrogent et redoutent que la fourchette 90-95 mb/j ne soit intenable.
Le monde est beaucoup plus proche de manquer de pétrole que les estimations officielles ne l’admettent, selon un informateur de l’Agence Internationale de l’Energie qui affirme qu’elle a délibérément minimisé une pénurie imminente, de peur de déclencher des achats paniques.
Ce haut fonctionnaire affirme que les États-Unis ont joué un rôle déterminant pour encourager l’agence à minimiser le déclin des champs pétroliers existants, tout en exagérant les possibilités de découvertes de nouvelles réserves.
Ces allégations soulèvent de sérieuses questions sur l’exactitude du dernier World Energy Outlook, évaluant la demande et l’offre de pétrole, qui sera publié demain [le 10 novembre 2009] par l’Agence. Ce document est utilisé par de nombreux gouvernements, dont le britannique, pour définir leurs orientations en matière de politique énergétique et concernant le changement climatique.
En particulier, elles mettent en doute la prévision du dernier World Economic Outlook, qui sera on le pense reconduite cette année, qui estimait que la production pétrolière pourra passer d’un niveau actuel de 83 millions de barils par jour à 105 millions de barils. Des critiques extérieurs à l’agence ont souvent fait valoir que cette affirmation ne pouvait être étayée par des preuves concrètes et ils affirment que le pic de production pétrolière a déjà été dépassé.
Désormais, la théorie du « pic pétrolier » trouve des partisans au cœur même du secteur de l’énergie. « L’AIE prévoyait en 2005 que la production de pétrole pourraient s’élever à 120 millions de barils par jour en 2030, mais elle a été contrainte de réduire progressivement ce chiffre à 116 mb/j puis 105 l’an dernier », déclare notre source à l’AIE, qui n’a pas souhaité dévoiler son identité par crainte de représailles en provenance de l’industrie pétrolière. « Le chiffre de 120 mb/j a toujours été un non-sens, mais même celui qui est utilisé aujourd’hui est beaucoup plus élevé que ce qui peut être justifié, et l’AIE le sait. »
« Nombre de personnes à l’intérieur de l’organisation estiment que le maintien de la production, même entre 90 mb/j et 95 mb/j sera impossible, mais il est à craindre que la panique puisse se propager sur les marchés financiers si les chiffres avaient été inférieurs. Et les Américains craignent la fin de la suprématie du pétrole parce que cela menacerait leur pouvoir sur les ressources pétrolières, » ajoute-t-il.
Une deuxième source haut placée à l’AIE, qui a aujourd’hui quitté ses fonctions mais est tout aussi réticente à donner son nom, indique qu’une règle fondamentale de l’agence était l’« impératif de ne pas [mettre en] colère les Américains », mais que le fait est que les réserves de pétrole sont moins importantes qu’admises. « Nous sommes [déjà] entrés dans la zone du « pic pétrolier ». Je pense que la situation est très grave, » a-t-il ajouté.
L’AIE est consciente de l’importance de ses propres chiffres, et affirme sur son site : « Les gouvernements participant à l’AIE et l’industrie mondiale ont appris à compter sur le World Energy Outlook pour leur fournir une base cohérente sur laquelle ils peuvent formuler des politiques et préparer leurs plans d’activité ».
Le gouvernement britannique, entre autres, utilise toujours les statistiques de l’AIE, plutôt que les siennes propres, pour affirmer qu’il n’y a que peu de danger pesant sur l’approvisionnement en pétrole à long terme.
L’AIE a indiqué ce soir que les tenants du pic pétrolier avaient souvent mis en doute à tort l’exactitude de ses chiffres. Un porte-parole a précisé qu’il était incapable de se prononcer par avance sur le rapport 2009 qui sera publié demain.
John Hemming, le député qui préside le groupe parlementaire sur le pic pétrolier et gazier, déclare que ces révélations confirment les soupçons sur le fait que l’AIE sous-estime la rapidité avec laquelle le monde commencerait à manquer de pétrole et que cela a de profondes implications quant à la politique énergétique du gouvernement britannique.
Il a indiqué avoir également été contacté par certains responsables de l’AIE qui regrettaient son manque d’indépendance pour les prévisions. « Les rapports de l’AIE ont été utilisé pour justifier l’affirmation que le pétrole et le gaz ne connaitraient pas de pic avant 2030. Il est clair maintenant que ce ne sera pas le cas et que les chiffres de l’AIE ne peuvent être invoqués, » déclare M. Hemming.
« Tout cela redonne de l’importance aux négociations de Copenhague et indique que le Royaume Uni a un besoin urgent de se diriger plus rapidement vers une économie plus durable si il veut éviter de graves problèmes économiques, » a-t-il ajouté.
L’AIE a été créée en 1974 après la crise du pétrole, afin de tenter de préserver l’approvisionnement énergétique de l’occident. Le World Energy Outlook est publié annuellement sous le contrôle Fatih Birol, l’économiste en chef de l’agence, qui a défendu les prévisions précédentes contre les attaques émanant de l’extérieur de l’agence. Les partisans de la thèse du pic pétrolier ont souvent mis en doute les chiffres de l’AIE.
Mais aujourd’hui, des sources internes à l’AIE ont contacté le Guardian pour dire que M. Birol était de plus en plus confronté à l’intérieur de l’organisation à des questions sur ces chiffres.
Matt Simmons, qui est un expert respecté de l’industrie pétrolière, a longtemps contesté les chiffres du déclin de la production et les statistiques pétrolières que l’Arabie Saoudite fournit sur ses propres champs. Il s’interroge sur le fait que le pic pétrolier puisse être beaucoup plus proche que beaucoup ne l’acceptent.
Un rapport publié le mois dernier par le Centre Britannique de Recherche pour l’Energie (UKERC) indique que la production mondiale de pétrole conventionnel pourrait passer par un « pic » et entamer son déclin terminal avant 2020, tout en jugeant que le gouvernement ne se préparait pas à faire face à ce risque. Steve Sorrell, auteur principal du rapport, a déclaré que les prévisions suggérant que la production de pétrole n’atteindrait pas son maximum avant 2030 étaient « au mieux, optimiste et au pire invraisemblable ».
Depuis 2004, plusieurs personnes ont lancé des avertissements similaires. Colin Campbell, un ancien cadre de Total France a déclaré lors d’une conférence : « Si le chiffre des réserves réelles [de pétrole] sortait, il y aurait une panique sur les marchés boursiers…au bout du compte cela n’arrangerait personne. »
Article original en anglais par Terry Macalister, The Guardian, traduction ContreInfo
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