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“Vivent les femmes, vive le vin, joies et soutien de l’humanité!”

La semaine dernière nous avons vu ensemble la première scène de Don Juan, de Mozart . Cette semaine nous allons voir un extrait de l’avant dernière scène du même opéra, celle dans laquelle Don Juan paye finalement pour son orgueuil démesuré et pour le mal qu’il a fait à ses semblables. J’ai choisi pour ce faire deux mises en scène différentes du même extrait. Les deux sont tout aussi intéressantes à mes yeux et ont des forces, des faiblesses et des symboliques différentes.

I/ Rappel de l’intrigue:

Don Giovanni (= Don Juan en Français) est un jeune noble qui au grand désespoir de son père passe son temps à jouir de la vie, que ce soit le vin, la bonne chère ou les femmes. Très grand séducteur, fin manipulateur, aidé malgré lui par son pauvre valet Leporello qui doit subir les frasques de son maître, Don Juan attire les femmes dans son lit en leur promettant le mariage avant de les délaisser complètement le lendemain.

Il tue en duel le père de l’une de ses conquêtes. Après beaucoup de péripéties, il se retrouve pourchassé par les maris, les fiancés, les frères de celles qu’il a séduite et se réfugie dans un cimetière avec son valet pour se cacher des poursuivants. Il se trouve face à la statue de la tombe du père qu’il a tué et par bravade se moque de sa fille. La statue du père s’anime et lui demande de se repentir et de cesser de faire du mal sous peine de finir aux enfers. Don Juan, par bravade, invite la Statue à dîner chez lui.

la Statue vient à son dîner et lui demande une nouvelle fois de se repentir. Don Juan refuse toujours. La Statue du père lui propose alors de venir dîner chez lui, Don Juan bien que terrorisé accepte, lui tend la main. Il meurt foudroyé et disparait dans les flammes de l’Enfer.

II/ La Scène que vous allez voir:

Il s’agit justement de la dernière partie de l’opéra (on pourrait même dire de la dernière “vraie” scène, la toute dernière scène étant plus une sorte d’épilogue dans lequel les victimes de Don Juan se réjouissent autour de son cadavre.)

Après avoir invité à dîner la Statue de l’homme qu’il a tué en duel et dont il a séduit la fille, Don Juan fait la fête dans son château. Il boit, il mange, il écoute son orchestre personnel, repousse sa dernière conquête tout en chantant “Vivent les femmes, vive le bon vin, gloire et soutien de l’Humanité” quand tout à coup 3 coups sont frappés à la porte. C’est la statue du Commandeur qu’il a invité à dîner par dérision. Don Juan et son Valet Leporello sont terrifiés. Don Juan se reprend vite et invite la statue à s’assoir et à dîner. La statue lui répond qu’elle n’a “que faire de nourriture terrestre, car tous les jours [elle] dîne à la table divine”.  Elle n’a que peut de temps et ordonne à Don Juan de se repentir, de changer de vie et de reconnaître ses torts. Par bravade, Don Juan refuse. Sur ce, la Statue invite Don Juan à dîner “chez elle”. Leporello supplie son maître de refuser, Don Juan accepte par défi et prend de lui-même la main glacée de la Statue. Il voit aussitôt des visions d’Enfer, les âmes de ses victimes qui tournent autour de lui. La Statue lui ordonne encore une fois à 3 reprises de se repentir. Don Juan refuse, arrache sa main de celle de la Statue et meurt aussitôt.

Les deux extraits que vous allez voir commencent précisément à l’arrivée de la statue et finissent à la mort de Don Juan.

III/ Extrait du film musical “Don Giovanni” de Losey de 1979:


La mise en scène de ce film est particulièrement somptueuse. Le décor est celui (authentique) de la Villa Capra du sculpteur/architecte Palladio, une riche villa de la Renaissance près de Vicence (une ville près de Venise), le film a été tourné sur place. Une foule de détails rendent cette mise en scène très riche: ainsi, la superbe table de fête préparée par Don Juan  est saccagée en un  éclair (au sens propre) par la Statue. A mon sens, celle-ci rappelle brutalement à Don Juan sa misérable condition de mortel, que tout ceci ne compte pas, que son âme va être jugée sous peu et que sauf repentir immédiat, il partira en Enfer.  De même, un second valet est présent dans cette scène (ainsi que dans le reste du film). Son rôle est très énigmatique, d’autant qu’il n’existe pas dans la pièce de Molière ou dans le mythe de Don Juan en général. Serviable mais froid, silencieux et légèrement méprisant (observez son mystérieux sourire,  son regard et son port de tête), il ne tente pas de mettre en garde son maître àla différence de Leporello et le regarde marcher vers sa chute. Il ajoute une petite touche inquiétante et semble représenter une entité supérieure ou extérieure à la scène observant la conséquence du libre-arbitre humain chez Don Juan.

Don Juan lui-même est dans cet extrait de toute première force. Regardez la façon dont il accepte le défi bien que terrorisé: regards noirs, mouvements amples, posture droite, c’est sa dernière bataille, il va la perdre, il le sait mais refuse de changer sa façon d’être, son identité quitte à perdre son âme. Quand il meurt, il semble littéralement se décomposer sur place et n’être plus qu’un cadavre animé se jetant DE LUI-MÊME dans les flammes. Même dans sa mort, malgré son orgueil et ses méfaits, Don Juan est grand et reste Don Juan, la mort ne lui a pas enlevé sa “Don Juannité” puisqu’il défie dans son dernier geste la Statue, ses semblables et son créateur.

IV/ Extrait de Don Juan, en opéra filmé: (Metropolitan de New York, Avril 1990)


La très grosse force (et différence) de cet extrait est l’impressionante mise en scène de la mort de Don Juan. Le chanteur jouant le rôle de la Statue a une présence stupéfiante. Grand, large, vêtu d’une armure du XVIème siècle, au visage et à la barbe blanche il écrase complètement Don Juan à un point tel que celui-ci parait presque “moyen” en comparaison. Observez le grand jeu d’acteur de la Statue et notamment ses expressions faciales. A partir de 2:50, son jeu, auparavant “simplement”  grave et solennel, devient de plus en plus menaçant: sourcils froncés, bouche grande ouverte, regard foudroyant, Dieu ou Zeus semble descendre en personne sur terre pour faire payer à Don Juan ses crimes.  A la fin de la séquence, il emprisonne Don Juan de ses bras et le traîne de force vers l’arrière plan, pendant que la brume envahit la scène et que les fantômes tourmentées des personnes mortes à cause Don Juan sortent de dessous la scène et de derrière les décors, l’emportant ainsi aux Enfers. A la différence de la version de Losey montrée plus haut, le Commandeur ne laisse dans cette version aucun geste ultime de panache à Don Juan, aucune chance de défier une dernière fois la société et Dieu.


Je vous remercie de votre attention. Si vous avez des questions ou des remarques, n’hésitez pas.

J’espère que cet article vous a plu (le mythe de Don Juan a quelque chose de profondément européen et même latin pour moi). Je vous souhaite une bonne fin de Dimanche et je vous dis à la semaine prochaine! 😀

D’ici là, n’oubliez pas cette phrase moins anodine qu’elle n’en a l’air: “Vivent les femmes, vive le vin, joies et soutien de l’humanité!” 🙂

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