Bernard de Clairvaux (1091-1153) fonda en 1115 une abbaye à Cîteaux, en Bourgogne, non loin de Dijon.
L’ordre cistercien a connu dès son départ un très grand succès et des centaines de monastères ont rapidement été construits dans toute l’Europe, de l’Irlande à la Lettonie. Son implication dans l’économie et la technologie n’est pas étrangère à ce succès.
Un moulin bourguignon s’appelle encore aujourd’hui « le Moulin Papier ». Car c’est dans ce moulin qu’a été fabriqué le premier papier européen, copié sur le papier chinois. Cette grange a mis au chômage toutes les granges qui fabriquaient d’excellents parchemins avec des peaux de mouton.
Et ainsi le PIB de l’Europe a doublé en moins de 30 ans…
Le monastère cistercien était réservé aux hommes issus de la noblesse. À l’époque, la noblesse avait le monopole du pouvoir politique en Europe. À une faible distance de chaque abbaye cistercienne étaient installées des annexes, appelées « granges ». Le recrutement de ces granges était assuré par des hommes issus du Tiers état, du peuple. Mais l’abbaye responsable y envoyait toujours un de ses moines nobles pour exercer le pouvoir et faire le lien entre la grange et l’abbaye.
L’abbaye centrale était essentiellement un lieu de prière. On priait beaucoup, jour et nuit. Mais le moine noble devait aussi exercer quotidiennement des tâches manuelles. Les granges cisterciennes étaient essentiellement des entreprises artisanales. On y travaillait beaucoup, mais on devait aussi y prier tous les jours un peu.
Tandis que l’abbaye centrale était totalement coupée du monde, et indépendante des pouvoirs politiques ou religieux, les granges étaient au contraire totalement immergées dans le « monde » sur le plan économique, en contact permanent avec leurs voisins.
Chaque grange est devenue une véritable entreprise. Et les moines cisterciens étaient d’excellents entrepreneurs, n’hésitant pas à copier une technologie ancienne qu’ils avaient retrouvée. À copier une technologie nouvelle. À inventer une nouvelle technologie. Une spécialisation des tâches a donc eu lieu très rapidement dans l’ordre cistercien. Spécialisation d’autant plus facile à mettre en place que les cisterciens avaient organisé une poste privée, qui diffusait en permanence des informations dans l’ensemble des abbayes. Et un même plan comptable européen.
Voici un amusant exemple des conséquences de leur spécialisation : le climat de l’Irlande permettait aux moines irlandais d’avoir des moutons qui produisaient bien plus de laine que les moutons italiens. Les granges irlandaises ont donc produit de la laine. Une grange hollandaise spécialisée dans le transport maritime a transporté cette laine irlandaise. Une autre grange hollandaise s’est alors spécialisée dans la fabrication de draps de laine.
Des granges ont assuré le transport fluvial et terrestre de ces draps de Hollande en Bourgogne. Une dernière grange située à Chalon-sur-Saône a entreposé dans ses vastes dépôts les draps hollandais, avant de les expédier sur des bateaux cisterciens vers l’Italie.
Les cisterciens ont parfaitement maîtrisé la technologie des moulins à eau, en copiant les Romains. Une abbaye bourguignonne a par exemple créé un bief de 17 kilomètres le long d’une rivière. Elle y a installé une vingtaine de moulins. Seulement trois de ces moulins produisaient de la farine. Les autres fournissaient l’énergie dont on avait besoin pour le travail du fer, du lin ou des minéraux…
Un jour, Bernard vit à Rome une vache qui produisait deux fois plus de lait que les vaches bourguignonnes. Il créa à Cîteaux une nouvelle race de vaches, puis la diffusa dans toute l’Europe, jusqu’en Lettonie.